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j,.,v't:RSiTY LIBRARY
LÉON DAUDET
L'AYANT-GUERRE
i
ÉTUDES ET DOCUMENTS
SUR
1 /RSPIONNAOE JUIF- AT ,l,EMAND
EN FRANCE
DEPUIS L'AFFAIRE DREYFUS
I
Deuxième lirac/c SEPTIÈME MILLE
NOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE
11, RUE DE MÉDICIS - PARIS
MCMXIII
BRANDEIS UNIVERSITY LIBRARY
given by
BRANDEIS UNIVERSITY
NATIONAL WOMEN'S COMMITTEE
Dedicated to the support of the University Libraries
L'AVANT-GUERRE
DU MÊME AUTEUR
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LÉON DAUDET
LAVANT-GUE
ÉTUDES ET DOCUMENTS
SUR
L'ESPIONNAGE JUIF-ALLEMAND
EN FRANCE DEPUIS L'AFFAIRE DREYFUS
Deuxième tirage
SEPTIÈME MILLE
NOUVELLE LIBRAIRIE^ NATIONALE
11, RUE DE MÉDICIS — PARIS
MCMXIIÏ
// a été tiré de cet ouvrage un exemplaire sur Japon et vingt-quatre exemplaires sur vergé d'Arches numérotés.
"uws drotts de traduclion, de repro- 'iiction et d'adaptation réservés.
CHARLES MAURRAS
SUN AMI
LÉON DAUDET
0^ Ci 1 B o
AVANT-PROPOS
Quarante -deux ans ont passé depuis Vheure funeste où Bismarck, à la suite d'une guerre tnalheureuse et grâce à l'intervention du niétèciue génois Gambetta^ sut nous imposer ce régime républicain que nous subissons; quarante-deux ans pendant lesquels le Juif et VAllemand ont pu accomplir patiemment, silen- cieusement, sans être inquiétés, leur travail de pénétration chez nous. Il a fallu les humiliations sans précédent de Tanger et d^Agadir, la campagne acharnée meyiée par TAction Française depuis dix- huit mois — début : le 2i Septembre 1910 — pour que nos compatriotes prissent enfin conscience du danger.
A Vheure actuelle, le péril est devenu pour tous si évident cpie certains quotidiens, plus particulièrement dévoués aux intérêts de la République, ont cru oppor- tun d'amorcer une campagne de diversion contre l'envahissement des produits '* Made in Germany ".
Le but manifeste de cette contrefaçon est de dé- tourner Vattention du point de vue exclusivemem
VIII AVANT -PROPOS
national, qui est le nôtre, pour la fixer, Vkypnotiser sur la concurrence comynerciale.
Les dangers que présente la concurrence commerciale allemande ne nous échappent pas, mais il est évident qu'il faut aller d'abord au plus pressé, àVesseyitiel. Or une campagne dirigée uniquement contre les perturba- tions économiques que la concurrence étrangère doit apporter sur notre marché ne s'appuie pas sur un terraiyi aussi solide que celle que nous entreprenons ici. On peut lui objecter, en effet, qu'il est impossible d'empêcher nos prolifiques voisins de chercher des débouchés pour leurs produits et de remplir les cadres laissés vides par la diminution progressive de la na- talité française. Aussi ne nous attaquerons-nous à l'envahissement commercial qu'au seul point de vue de sa répercussion sur la Défense nationale. Cet intérêt supérieur doit rallier autour de nous tous ceux qui ont à cœur de conserver intact notre patrimoine national : la France. Sur ce terrain-là, nous so7nmes inébranlables et résolus à aller jusqu'au bout.
Nous allons montrer comment, sous le couvert du régime républicain, V Allemand, guidé par son fourrier le Juif, qu'il s'appelle Weyl, Dreyfus, Ullmo ou Jacques Grumbach, a su trouver en France toutes les facilités, toutes les complicités, toutes les trahisons même, qui lui ontperm,is de supplanter yio s natioyiaux dans les diverses branches du commerce et de Vin- dusirie intéressant la défense nationale ; comment il a pu se rendre ainsi maître de notre blé, de notre fer, de notre or et occuper, sous le couvert d'opérations en apparence légales, les points stratégiques les plus importants du pays, ses centres ou ganglions ner-, )eux, ses nœuds vitaux. De telle sorte qu'au ynoïnent d'une déclaration de
AVANT-PROPOS IX
guerre, à Vheure grave et peut-être prochaine où il nous faudra tout abandonner et courir à la frontière pour faire face aux armées du roi de Prusse, ses fidèles sujets, nos hôtes de la veille, iyistallés en nom- bre imposant dans nos villes, dans nos cainpagnes, dans nos ateliers, dans nos usiyies, dans nos adjni- nistrations, pourront en toute tranquillité, à Vabri de nos lignes de combat, saboter ici même nos travaux de défense et paralyser ou retarder nos efforts.
La docwtnentation irréfutable, les faits précis que nous produisons prouveront aux esprits les plus sceptiques, qu'aurait dû pourtant rendre clairvoyants la cruelle expérience de 1870y la nécessité de notre cri d'alarme.
La responsabilité du désastre qui nous menace incombe uniquement aux institutions démocratiques. Elles nous ont livrés au Juif. Elles ont arraché toutes les barrières qui pouvaient s'opposer à ses progrès. Elles ont désorganisé la famille, la magistrature, Varmée, en im mot ce qui constituait Vossature mé/7ie de notre pays.
Connaissant la cause de nos m,aux, il faudra bien conclure à sa destruction et au rétablissement du gouvernement national, traditionnel, héréditaire, au- dessus des partis, seul capable de rendre la France aux Français.
Le principe même d^ un gouvernement démocratique et parlementaire lui interdit d'apporter un remède à Vespionenvahissement juif -allemand, à VAvant- Guerre.
Ce n'est pas avec une simple digue, comme disent yios libéraux, qu'on pourra désormais arrêter le flot irrésistible.
Limiter le nombre des étrangers, les mettre sous la
X AVANT- PROPOS
surveillance de la iwlice? Impossible. Il faudrait appliquer cette mesure à des gens comme le m^inistre de V Intérieur du cabinet précédent, à ce Steeg, fils d'un pasteur allemand qui n'a jamais pu faire la preuve de sa naturalisation française.
Celui-ci ne pousserait sans doute pas Vaudace jusqu'à réclamer ouvertement la protection du Kaiser ; mais il n'en serait pas de même des milliers de nationaux allemands qu'une telle loi gênerait aux entouymures, et qui auraient vite obtenu de leur empereur l'envoi de quelque nouvelle " Panther " dans les eaux de nos ports devenus à m^oitié alle- mands. '
La situation actuellef si elle se prolonge, est donc sans issue.
De deux choses l'une : ou yious laisserons l'Allemand et son compère le Juif continuer à nous traiter en pays conquis, à nous m,enacer daris notre héritage moral, dans nos biens, dans nos vies même, et nous serons absorbés, dévorés en pleine paix, sans com- battre ou nous nous révolterons contre tant
d'humiliations accumulées et rejetterons l'étranger hors des frontières, mais alors ce sera la guerre.
Sommes-nous donc un peuple fini, et devons-7ious nous laisser mourir ?
En dehors des nombreux clients du régime alimen- taire dont ils vivent parfois grassement, et qui constituent le gros de l'armée républicaine, il y a des Français qui considèrent la situation dans laquelle nous nous débattons comme la conséquence fatale de notre ancienneté dans le Monde. Nous devons, selon eux, céder la place aux peuples jeunes jjIus énergiciues, mieux armés pour la lutte.
Les faits donnent heureusement chaque jour un
AVANT -PROPOS XI
démenti formel à ce poncif funeste, à ces affirmations mal fondées.
L'ardeur, le courage, Vinitiative, Vingéniosité dont témoignent nos aviateurs sont une preuve, entre maille autres, que notre race n'a perdu aucune de ses qualités traditionnelles.
D'autres veulent bien reconnaître que nous ne sommes inférieurs que par le nom.hr e. Certes, on ne peut nier cette crise fatale de la natalité française. Mais on doit en faire remonter la responsabilité aux institutions démocratiques.
Bien loin d^enrayer le nrial, ces institutions l'ag- gravent en détruisant peu à peu toutes les garanties tutélaires à Vabri desquelles la famille française a jadis prospéré. Elles tendent systématiquement, autom^a- tiquement, à isoler Vindividu de tout groupement, de ses soutiens naturels, pour en faire l'esclave, la chose du premier acheteur de bulletins de vote venu.
Ces institutions antiphysiques encouragent le divor- ce en faisant voter la loi du juif Naquet. Elles s'ingénient à rendre chaque jour plus lourdes les obligations et les charges du chef de famille^ accablé d'impôts, de vexations, et dont Vautorité est battue en brèche. On lui conteste même le droit priynordial de donner à ses enfants une éducation de son choix !
Les théories malthusiennes sont enseignées ouverte- ment et le gouvernement le tolère. Il protège les faiseuses d'anges.
Son origine élective le contraignant à centraliser pour pouvoir vivre, il attire dans les centres urbains, dans les usines, toutes les forces vives des campagnes.
Loin de la vie au grand air, où la collaboration contiiiuelle unit les membres d'une même famille, oit les enfants sont une source de richesse, ces énergies
XII AVANT- PROPOS
se brisent au contact de Vexistence déprimante des villes, existence étroite, malsaine, qui enlève tout son charme au foyer, où Vhomme, et bien souvent, la femme ne rentrent que le soir énervés par la fatigue ou Valcool, hargneux, hostiles. L" agriculteur , aban- donné à ses seules forces, se désespère dans cette alternative de faire appel à la naiyi-d' œuvre que lui offre l'étranger ou d\ib amidonner sa terre, bien souvent guettée par celui-ci.
Aces inaux, le gouvernement républicain croit avoir trouvé un remède souverain : la naturalisation à jet continu. Il fabrique des faux Français à coups de décrets. Mais une décision administrative peut-elle donner à tétranger ainsi étiqueté Français, un sang e un esprit de chez nous?... L'État républicain réserve même U7i traitement de faveur à ces faux Français, aiuiom de V Humanité et de la Fraternité des peuples.
D\in sectarisme farouche à Végard des Français de race, cet Etat se montre d'une tolérance sans bornes pour les métèques et, en particulier, pour les Allemands. Ce n'est pas sans une certaine stupéfaction qu M. Schoeji, docteur es lettres, professeur de VU- niversité, constate dans la Revue Alsacienne quel accueil chaleureux nous faisons à nos vainqueurs de 1870.
Cette tolérance le stupéfie, et il lui rend un hommage ironique :
« Je ne crois pas, dit-il, qu'il y ait au 7nonde une autre « cité {Paris) de kvigue non allema^ide qui offre autant « de ressources aux Allemands que la capitale de la « France. »
« La presse allemande jouit, en France, de la même liberté que la presse française. Or, le but avoué de cette
AVANT- PROPOS XIII
presse est de défendre les droits et la politique des Allemcnids installés en France. »
Les Sociétés allemandes laïques et religieuses sont nombreuses et florissantes ; « il faudrait plusieurs pages, « dit M. Schoen, rien que pour énumérer toutes celles « qui existent actuellement en France ».
Ces lignes ont été écrites en 1909. Mais, depuis quatre ans, il serait intéressant de savoir dans quelle proportion le nombre desdites sociétés s'est accru chez nous. C'est une invasion faite avec méthode, diaprés un plan nettement défini. Ceux qui Vont conçu savaient parfaitement c[ue rien ne devait plus contribuer que ces sociétés à resserrer les liens des Allemands entre eux, sur tout le territoire de la France. Par leur attachement et leur fidélité à la pjcUrie allemande, ces sociétés sont toutes, à des degrés divers, les c/iam- pions du germanisme en France. Cela, on le sait, on le compre7id chez nous et même {je cite textuellemeyit fauteur, qui ne peut manquer de m^anif ester sa stupé- faction, en écrivant cette phrase en caractères spéciaux) « et même le gouvernement de la République va « jusqu'à l'approuver, tant il sait se placer au point « de vue des étrangers qui viennent lui demander « l'hospitalité ».
Mais où la « tolérance » du Gouvernement français est encore plus re7narc[uable, c^est dans le domaine de l'enseignement, car ici, elle vajusquà créer, en faveur de la colonie allemande, des exceptions aux lois généra- les qui régissent V enseigneme^it en France.
Le fait le plus frappant est Vexistence, en plein Paris, d'une école allemande, gratuite, ouverte à tous les enfants qui veulerit faire leurs études élémentaires en allemand. Peu importe c^ue leurs parents soient d'origine française ou allemande. « L'histoire de cette
XIV AVANT-PROPOS
a école, dit M. Schoeiiy est extrêmement intéy^essante « et prouve que, même après V envahissement du « territoire, la France ne s'est pas départie de sa « tolérance traditionnelle. Cette école est mieux ins- ictallée que la plupart des écoles françaises ». Les bancs viennent d'Allemagne et les professeurs aussi, naturellement.
Uallemand est enseigné comme langue fondamen- tale, comme langue maternelle. Le français g devient la langue étrangère. Lliistoire est enseignée au point de vue allemand. Ce qu'on apprend à aimer aux jeunes élèves, c'est V Allemagne, la patrie allemande, Vempe- reur allemand.
« Malgré la loi française qui interdit absolument « tout châtiment corporel in fligé aux élèves , la discipline « de l'école est la discipline allemande.
« Même exception aux lois générales pour cec^uiest m delà direction et des professeurs de Vécole allemande. « Les lois françaises veulent que, pour avoir le droit « d'ouvrir une école dans notre pays, on soit Français « et qu'on ait passé des examens français, plus ou moins (! élevés selon le but de Vécole. Or, voici U7X grand « établissement scolaire, qui est dirigé uniquement par « des Allemands et dont les professeurs n'ont que des ft grades étrangers et éprouvent des difficultés « sérieuses à s'exprimer en français. Par respect pour « l'âme allemande, par déférence pour la colonie gér- ai manique, on permet à un comité allemand, à des « maîtres allemands, ce qu'on ne permettrait pas à « un prêtre français qui voudrait ouvrir une école à « Paris. »
Ce n'est pas tout. Non seulement le gouvernem^eni de la Réfjubliciue accorde, en dépit de nos règlements scolaires, une entière liberté d'action à la direction et
AVANT -PROPOS XV
aux professeurs de Vécole allemande en question, mais encore il encourage et récompense ceux qui sojit à la tête de cet établissement.
A Voccasion du jubilé de l'école, en 1908 {1858-1908), le ministère des Affaires étrangères a nommé M. A... chevalier de la Légion d'honneur. Le conseil de Vordre n'ayant pu être réuni à temps pour confirmer la nom,ination avant la fête, on n'attendit pas la réunion suivante f conformément aux règlements, pour pouvoir remettre les insignes au nouveau chevalier, le jour mênne.
Voilà donc un cas où Vun de nos m,i7iistres, pour témoigner sa sympathie à une colonie étrangère, va jusqu'à créer une exception aux usages les mieux établis et aux règlements les plus formels !
Mais il est une association dont l'existence à Paris surprendra encore davantage.
On connaît la célèbre Société allemande appelée ce Flottenverein », et chacun sait qu'elle a pour but d'assurer la prépondérance de la marine allemande sur toutes les mers du globe et d'employer tous les moyens pour faire uyie concurrence acharnée à la flotte anglaise et à la flotte française.
Eh bien, cette association, qui est dans le domaine des choses maritimes Véquivalent d'une « Kriegerve- rein » dans le domaine de la guerre continentale^ cette gigantesque ligue de combat a une fdiale en France. Créée en 1902, cette fdiale n'a pas tardé à gagner de nombreux partisans et a déjà reçu les félicitations officielles de personnages politiques très en vue dans la mère patrie. Son titre est : « Flottenverein Paris Zweigverband des Hauptverbandes Deutscher Flotten- vereine im Auslayide ». Ce n'est donc cp.Cune branche de la grande société allemande. Et cette société ne se
XVI AVANT- PROPOS
cache pas ? — Non, « forte de son droit sur une terre de liberté », elle se montre au grand jour.
« Est-il possible de pousser plus loin la toléraîice ?» — dit M. Schoen. — Évidemment non, mais pratiquée jusqu'à ce point, cette prétendue tolérance s'appelle trahison. Et 7iul ne s'en étonnera, du reste, quand nous aurons expliqué comment le gouvernement de la République a confié la surveillance et le contrôle des étrangers au juif Jacques Grumbach.
PREMIERE PARTIE
LES AUXILIAIRES
DE L'AVANT-GUERRE
CHAPITRE PREMIER
UN AUXILIAIRE DE L'AVANT-GUERRE
LE JUIF JACQUES GRUMBACH
Fonctionnaire du gouvernement allemand au ministère de l'Intérieur Jrançais.
Il est évident que, sans la complicité ouverte ou tacite des autorités chargées de la surveillance des étrangers en France, il serait matériellement impos- sible à ceux-ci de pénétrer et de s'installer en maîtres chez nous.
L'accroissement effrayant et continuel de leur nombre, le sans-gêne avec lequel ils s'imposent car- rément, sans dissimuler leur nationalité, ne sauraient échapper à Jacques Grumbach, sous-directeur au Ministère de l'Intérieur, chef du deuxième bureau de la direction générale (police générale et contrôle des étrangers), dont Alphonse Humbert eut déjà l'occa- sion d'entretenir la Chambre dans la séance du 28 mai 1900. Ce Jacques Grumbach est juif, bien entendu, il est même cousin par alliance de Mathieu
l'avant- GUERRE
Dreyfus, frère de l'incontestable traître juif x\lfred Dreyfus, auteur du Bordereau, lequel, selon son propre aveu, (( livrait des documents à l'Allemagne pour en avoir d'autres en échange ». Il est le neveu d'un autre juif d'espionnage, Emile Weyl, chassé jadis du Ministère de la Marine par M. de Mahy. Ce Weyl eut l'audace de faire à la grande Française M""^ Edmond Adam un procès, lequel tourna à sa confusion et fut du plus saisissant intérêt, car il contenait en germe bien des événements. Ces titres devaient offrir toutes garanties, non pas à la France, mais à tous les Baumann, Himmelsbach, etc.. et autres champions de l'Allemagne dont Jacques Grumbach est le meil- leur introducteur et protecteur.
Les attributions du bureau de ce juif comprennent en particulier : le contrôle et la police des étrangers (déclarations de résidence des étrangers ; arrêtés d'expulsion ; permis de séjour ; avis sur les demandes d'admission à domicile, de naturalisation et de réin- tégration dans la qualité de Français) ;
La Sûreté nationale (surveillance des frontières, du littoral, des arsenaux, des établissements militaires et maritimes, des voies de communication, des ca- naux et voies navigables, des places fortes et camps retranchés, des postes de la télégraphie sans fil. Rapports avec le Ministère de la Guerre et le Minis- tère de la Marine, pour les questions intéressant la défense nationale).
Cette énumération officielle semble vraiment un défi porté au pays. Il n'y a pas, en effet, un des objets de la surveillance éventuelle de Jacques Grumbach qui n'abrite un ou plusieurs agents de l'espionnage allemand. Quelques-uns de ceux-ci sont décorés de la Légion d'honneur. D'autres sont con-
UN AUXILIAIRE DE l' AVANT-GUERRE 5
seillers au commerce extérieur. Presque tous sont bien en cour, ont obtenu les sourires, les faveurs, les prébendes et des postes importants du gouverne- ment de la République. Tranquillement installés sur notre territoire, exerçant cyniquement, ouverte- ment, ou sous un masque branlant, leur métier d'en- nemis dans la place, ces juifs allemands occupent avec la complicité souriante de Jacques Grumbach, chargé de les surveiller, les points stratégiques de la frontière. Ils encombrent le littoral. Ils ont un port en eau profonde, sous prétexte de mines souterraines, à Diélette, à deux pas de Cherbourg. Ils ont un centre d'espionnage à Monaco, avec ramifications à Toulon. Ils ont installé ici et là des postes de télé- graphie sans fil, destinés à capter et embrouiller les communications de la défense nationale aux arse- naux et aux navires.
C'est à la faveur de cette fiction légale qu'on appelle naturalisation que le juif Jacques Grumbach, souverain en la matière, a pu installer sur notre sol une nuée de pirates et d'espions, réclamant même et obtenant un privilège sur les nationaux.
Le nombre des naturalisations a augmenté d'une manière saisissante, surtout depuis 1896. Alors, en effet qu'elles s'élevaient à 38M00, en 1896 (chiffres officiels), on en comptait 65.000 en 1901, 90.000 en IdOQ etIW.OOO en 1911. C'est-à-dire que de 1896 à 1911 le nombre des étrangers (principalement Juifs et Allemands) campés chez nous à la faveur de cette fiction légale a augmenté de quatre-vingt-deux mille.
Cette augmentation s'explique par l'affaire Dreyfus qui commence à exercer ses ravages en 1897 et les poursuit jusqu'en 1912. La statistique officielle ne donne pas — et pour cause — le pourcentage des
6 l'avant-guerre
Juifs et des Allemands, mais il est formidable. Il faut qu'on le dise : l'affaire du traître Alfred Dreyfus a eu comme premier résultat une véritable invasion, la formation chez nous d'une Anti-France.
C'est de là que date l'accaparement juif dans toutes les branches commerciales, théâtrales, journalis- tiques, artistiques...
C'est de là que date l'espionenvahissement métho- dique des Allemands et juifs allemands préparant ce que j'appelle : U Avant-Guerre^.
Sur tout le réseau économique, industriel, financier, une expropriation lente s'opère peu à peu, qui éli- mine l'élément français au bénéfice de l'élément pseudo-français ou anti-français. Il n'y a presque plus aucune avenue dans aucun métier, aucune pro- fession qui ne soit occupée, commandée, souvent bou- chée par un ou plusieurs naturalisés.
Cette invasion a profondément modifié déjà les conditions de la vie en société dans une grande ville comme Paris. Elle a avili la presse, tenue par sa publicité au respect des envahisseurs, avili égale- ment les transactions commerciales et industrielles, jadis conduites en France avec une droiture et une probité qui ne se retrouvent plus que dans les rares maisons ayant échappé au joug étranger. Elle a même avili les foules, moins spontanément vibrantes et communicatives, quand elles ne sont pas enca- drées et conduites, qu'il y a seulement une quinzaine d'années.
Quant à ceux de ces métèques qui ont dû, à leur corps défendant, participer dans une mesure déri- soire au service militaire, souvent interrompu d'ail-
1. La presse allemande m'a fait l'honneur de traduire ce mot nouveau par Vorkriég.
UN AUXILIAIRE DE l'aVANT-GUERRE 7
leurs par une désertion ou une maladie opportune, ils ont apporté au régiment leur état d'esprit, leur sourde révolte, leur naturelle « anti-France ». Ils ont certainement contribué pour une grande part à la poussée antimilitariste, si contraire à notre tempéra- ment national, qui a sévi de 1897 à 1910 et de haut en bas, des seigneurs juifs aux milieux ouvriers.
L'envahissement allemand ne laisse rien au hasard. Il n'agit que d'après un plan scientifiquement étudié. Nous avons vu comment il s'assurait près du pouvoir un appui, une complicité. Les nationaux allemands ne s'installent en France qu'en connaissance de cause, après s'être assuré des ressources offertes par le territoire envahi. Le grand organe de renseigne- ments Schimmelpfeng vient à point pour rendre un si précieux service à l'espionenvahissement.
C'est donc la maison d'espionnage allemand Schimmelpfeng — sous le couvert de renseignements industriels et commerciaux — que nous allons main- tenant étudier.
CHAPITRE II
L'AGENCE SCHIMMELPFENG
M. Henri Schoen, de la Revue Alsacienne, à qui nous avons emprunté quelques passages caracté- ristiques de son intéressant ouvrage sur « les Ins- titutions allemandes en France », n'avait point cité l'agence Schimmelpfeng au nombre de celles dont le gouvernement républicain encourageait le déve- loppement par sa coupable... tolérance.
En 1909, en effet, l'existence de cette agence devait lui être inconnue. Au cas contraire, il n'eût certes pas manqué de manifester une fois de plus quelque étonnement de voir opérer en plein Paris un institut de ce genre. Comme nous le verrons au cours de cette étude, la « Schimmelpfeng » centralise tous les renseignements commerciaux, industriels, financiers, géographiques et militaires qui permettent aux Alle- mands et aux juifs allemands de s'aboucher entre eux, de s'entr'aider et aussi de s'installer là où il y a quelque chose de français à défaire, quelque chose d'allemand à faire.
Ce n'est qu'en 1910 que l'existence d'une organi-
l'agence schimmelpfeng
sation de ce genre fat révélée au public français par M. Pierre Mareuilles. A cette époque parurent en effet, sous sa signature, dans le Gil Blas d'Henri de Noussanne, trois articles des plus précis mais où l'institut n'était toutefois pas désigné par son nom, ce qui enlevait une grande partie de son intérêt à cette révélation.
Or à cette date l'agence avait déjà plus de vingt ans d'existence.
D'aucuns s'étonneront qu'elle ait pu vivre ainsi pendant tant d'années à peu près ignorée, sauf des commerçants et industriels qui avaient affaire à elle. Il n'y a là pourtant rien de très surprenant. Pour des esprits non avertis et que n'avait pas encore mis en éveil la connaissance des faits indéniables d' « espionenvahissement » dévoilés par la suite, son fonctionnement, la nature même de ses opérations ne devaient pas particulièrement attirer l'attention. Mais tout change à la lumière des faits et, en cette année 1913, la lecture du rapport de janvier 1901 pu- blié à cette date par l'agence Schimmelpfeng, et dont le contenu devait sembler alors assez terne, prend une saveur extraordinaire.
C'est en quelque sorte un plaidoyer pro dorao où sont entassés, non sans habileté, tous les arguments jugés susceptibles d'attirer à la boîte allemande les sympathies françaises.
Il importe d'en étudier les grandes lignes, d'en dégager les idées directrices avant d'exposer le rôle réel de cette agence qui dissimule, sous le masque ingénieux du renseignement commercial, de savants travaux d'espionnage.
Lorsque l'agence Schimmelpfeng s'est installée en France, elle ne possédait aucun document sur les
10 l'avant-guerre
commerçants français. Que fit-elle? Elle confec- tionna un questionnaire extrêmement complet qu'elle remit aux intéressés en les invitant à y répondre (un Qui êtes-vous ?...). C'est la méthode habituelle aux Al- lemands. Plusieurs de nos industriels et commer- çants se soumirent bénévolement à ce procédé et fournirent sur leur compte personnel des détails qui, bien entendu, furent enregistrés sans aucun contrôle.
Cette méthode permit à Schimmelpfeng de donner l'impression d'une organisation très importante et de s'imposer comme agence de renseignements com- merciaux.
Ce sont ainsi des commerçants français, des indus- triels français qui ont, sans le vouloir, aidé l'agence allemande à s'implanter en France.
Une fois installée, elle s'y maintint et consolida sa situation encore peu définie. Elle adressa aux patrons et directeurs d'établissements, de comptoirs, de mai- sons de commerce, de bureaux de mines, de forges, le questionnaire suivant qui fait de chaque maison française l'espionne, la dénonciatrice de ses concur- rentes :
Messieurs,
<( Il résulte de nos recherches que la situation de la maison sus-indiquée vous est connue. — [Une fiche portant le nom et Vadresse de cette maison est jointe au questionnaire.] — Nous prenons donc la liberté de vous questionner à ce sujet.
« Notre loyauté nous imposant le devoir de sauve- garder scrupuleusement les intérêts de ceux sur les- quels nous devons renseigner, — en effet, l'agence Schimmelpfeng a une peur terrible des procès, comme nous le verrons par la suite, — nous espérons que vous voudrez bien nous aider, en nous éclaircissant dans la mesure qui vous paraîtra convenable.
l'agence schimmelpfeng 11
« En vous assurant de notre entière discrétion, nous vous remercions d'avance de tout ce que vous voudrez bien nous communiquer, et vous présentons, mes- sieurs, nos salutations distinguées.
(( Institut W. Scliimmelpfeng.
« (Dép*...)
« Prière de répondre, au verso de ce formulaire, ou sinon de rappeler dans les lettres la maison sus- nommée et son adresse exacte. »
Et voici, maintenant, le verso de ce « formulaire » :
« 1° Que savez-vous sur les antécédents, la carrière commerciale et les qualités personnelles?
« 2'' Quel est votre avis sur la situation de fortune actuelle et les résultats qu'obtient la maison?
« 3'' Pouvez-vous nous dire, d'après votre propre ex- périence, comment les paiements sont effectués?
« 4° Lorsqu'il s'agit d'un agent :
« Est-il apte et prudent dans le choix de la clientèle*?
« Est-il chargé de vos encaissements? »
Certains commerçants s'étonnèrent bien de la « hardiesse de ces enquêtes sur leur propre situa- tion ». Chez les uns cela provoqua une colère vio- lente, chez les autres un certain ébaliissement qui se traduisait par la phrase typique : « Alors, vous en- verrez à vos abonnés ce que nous vous dicterons? » Mais peu à peu ces difficultés s'aplanirent et c'est avec satisfaction que notre agence constatait, dans son rapport de 1901, que ces deux catégories dimi- nuaient « dans une très heureuse mesure ». « Nous pouvons dire, aujourd'hui, » s'écriait-t-elle, « que nous avons réussi à nous assurer la sympathie de tous les milieux sérieux et vraiment éclairés du commerce français. »
12 l'avant-guerre
Et pourtant, dès cette époque, les commerçants auraient dû trouver fort suspecte cette énergie avec laquelle l'agence repoussait une responsabilité maté- rielle « qu'il serait insensé d'exiger de nous », osait- elle écrire sérieusement dans son rapport. Et qu'y aurait-il là de si extraordinaire? Le gouvernement républicain a toujours, il est vrai, montré une sur- prenante indulgence en faveur des étrangers ; mais il semblerait, pour le moment du moins, prématuré de vouloir les soustraire à toutes les conséquences de leurs actes.
L'institut Schimmelpfeng n'est pas de cet avis et se demande avec une certaine indignation « com- ment il se fait qu'il ne se soit pas encore produit un mouvement réformateur dans la jurisprudence fran- çaise en ce qui concerne le renseignement commer- cial honnête, dont le libre fonctionnement devrait jouir de la protection légale ».
Tout porte à croire que cette protection lui a été largement accordée depuis 1901, car l'institut Schimmelpfeng a pris aujourd'hui une extension co- lossale et il a maintenant en France des succursales à Bordeaux, Lyon, Marseille, etc.
A propos de « cette question si grave de la respon- sabilité » le rapport de 1901 précise, d'après l'exposé remis à la Chambre de commerce de Vienne (Au- triche), les rapports essentiels sur lesquels doit por- ter l'activité de l'agence. Nous verrons par la suite avec quelle fantaisie ce programme est appliqué :
« 1° Le renseignement est fourni en vertu d'un contrat qui contient la condition expresse que l'ins- titut n'est pas responsable des conséquences d'une disposition quelconque prise par l'abonné, et que ce dernier renonce à tout recours contre l'institut en
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cas de dommage provenant, selon lui, d'erreurs ou de fautes d'auxiliaires {clause de non garantie) ;
2° Le renseignement n'est pas fourni publique- ment ni dans le but d'être répandu au gré de celui qui le reçoit, mais est uniquement destiné à l'usage personnel de ce dernier et communiqué sous la con- dition expresse d'une discrétion absolue {clause de confidence) ;
3<* Nous fournissons seulement des renseigyiements sur la situation des personnes qui usent du crédit commercial et qui, par ce fait même, incitent à ce qu'on se renseigne sur elles;
4° Nous ne fournissons des renseignements que sur demande et contre la promesse que la cause et le but de la demande ont un intérêt purement commer- cial;
5° Nous fournissons des renseignements en vertu d'un contrat dans lequel il est entendu que, pour des honoraires modérés payés par l'abonné, nous ne pre- nons nullement rengagement de lui fournir une infor- mation complète et encore moiyis que cette informa- tion soit composée de faits certains.
Nous ne faisons que transmettre ce que nous avons pu apprendre par nos recherches, forcément limitées, dans les milieux commerciaux. »
Il ressort donc de cet exposé que l'activité de l'agence devait se porter exclusivement sur le rensei- gnement COMMERCIAL hounêtc. De l'étude de son fonc- tionnement il ressort, au contraire, que le renseigne- ment commercial (quand il ne porte que sur des questions qui n'ont rien à voir avec un commerce quel qu'il soit), que le renseignement commercial, dis-je, soi-disant ho7inête est tout bonnement un pré- texte malhoyinête.
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Le rôle de l'institut Schimmelpfeng est double :
Le rôle avoué consiste à fournir au premier de- mandant, pour une somme assez modique, des ren- seignements commerciaux; mais l'autre, le rôle caché, consiste à fournir au peuple allemand deux ordres de renseis'nements :
1^ Industriels et commerciaux;
2"" D'État, ou plus exactement d'éventualité de guerre.
Il semble bien du reste que quelques commerçants soupçonneux aient entrevu vaguement ce que dissi- mulait le renseignement commercial. On pourrait du moins le supposer si l'on en juge par l'âpreté avec laquelle le rapport de 1901 s'élève contre ceux qui s'entêtent à qualifier ses travaux « d'occultes, de té- nébreux ». N'accuse- t-on pas l'institut d'avoir presque des affinités plus ou moins avouées avec la police? Le monde est si méchant.
Aussi, pour se défendre contre tous les pièges que l'on veut lui tendre, l'agence Schimmelpfeng a-t-elle cherché des appuis solides, des garants et elle les a trouvés, semble-t-il, à en juger par les remerciements qu'elle adresse aux Chambres de Commerce, aux corporations industrielles et commerciales, à des commerçants et des industriels « dont le précieux concours ne lui a pas fait défaut ». Fort de ces appuis, l'institut allemand déclare « continuer son « œuvre, convaincu qu'il est de servir loyalement les « intérêts du commerce intérieur et extérieur de la « France ».
Voilà, n'est-ce pas, un noble désintéressement. Faut-il que nous ayons l'esprit mal fait pour ne pas nous sentir émus à la lecture de cette patriotique tirade! C'est que nous avons aujourd'hui le sentiment
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très net, la certitude que tout ceci n'était que men- songe, et, patriotes avertis, nous voulons jeter bas le masque de cette agence allemande dangereuse.
Située boulevard Montmartre, à Paris, l'agence Schimmelpfeng est en relations constantes, d'une part, avec ses succursales des principales villes de France, de l'autre, avec son siège central à Berlin. Si M. Van der Donk, — auquel on prête une origine hollandaise — est directeur du bureau de Paris, le directeur général pour la France est M. Bosschaertz *. D'ailleurs tout passe sous le contrôle directorial de MM. Hans et Richard Schimmelpfeng, seuls maîtres en droit et fait. Il y a quelques années, un M. Karl Klee était directeur du bureau de Paris. En 1907, il fut nommé, par le Ministère du Commerce français, conseiller du commerce extérieur de la France ! C'est ainsi que l'agence berlinoise Schimmelpfeng entra ouvertement dans les conseils du gouvernement de la République.
Comme nous le voyons, elle est solidement instal- lée dans la place, et à l'ombre du pavillon français elle va pouvoir opérer en toute tranquillité.
De quelle valeur est donc le renseignement com- mercial fourni par cette maison ainsi privilégiée?
De toute évidence ce ne peuvent être que de vagues ragots et des racontars de quartier, de fournisseurs, de domestiques ou de concierges. S'ils étaient sérieux et détaillés, ces renseignements « difficiles à se pro- curer )), comme dit le traître Dreyfus dans le Borde-
1. M. Bosschaertz est lui aussi conseiller du commerce extérieur de notre pays. De sorte qa'il semble que ce titre soit attaché à la fonction même de directeur de l'Institut Schim- melpfeng. Il serait intéressant de savoir comment et par quelles relations, à la suite de quelles démarches on obtient ce titre si envié.
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reau, coûteraient fort cher et le prix modeste de l'a- bonnement deviendrait aussitôt suspect. En outre, de semblables enquêtes, capables de nuire extrêmement si leur résultat était nettement défavorable à des firmes commerciales et industrielles, exposeraient à des réclamations, à des poursuites en dommages et intérêts parfois formidables et nous avons vu avec quel soin cette prudente agence tient à dégager com- plètement sa responsabilité matérielle. D'où néces- sité de ne fournir à la clientèle que des espèces de devinettes, d'approximations qu'on aura ensuite à vérifier, parmi lesquelles on devra se reconnaître tant bien que mal.
Cette sorte de renseignement ne justifierait pas un pareil déploiement de comptoirs, de personnel très coûteux. Aussi est-il bien entendu que la Schimmel- pfeng ne fait pas ses frais et que, limitée à ses seules ressources et à ses seuls bénéfices, elle ne tiendrait pas longtemps. En effet, chaque renseignement ordi- naire obtenu coûte en moyenne à l'agence 1,50 à 2 fr. Je ne parle pas ici des renseignements importants et (c difficiles à se procurer » qui peuvent être payés des 20, 30, et 100 francs et davantage. Le même renseignement ordinaire est vendu, aux abonnés, de 1 fr. 10 à 1 fr. 25, exception faite pour certains d'entre eux. On aura une idée de l'importance de l'agence Schimmelpfeng quand on saura qu'un éta- blissement de crédit comme la Société Générale lui demande des renseignements par paquets de dix mille à la fois.
Comme nul n'ignore les facilités qu'ont les établis- sements de crédit pour se documenter directement sur la solvabilité de leur clientèle, on est en droit de se demander si de telles commandes ne constituent
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pas une espèce de subvention à Schimmelpfeng, ou, si vous préférez, une sorte d'assurance, de garantie contre les risques de mauvais renseignements, con- cernant cette fois les établissements de crédit eux- mêmes.
Mais la vérité est que la maison Schimmelpfeng est, au vu et au su de tout son personnel, subven- tionnée par les chambres de commerce allemandes, sinon par le gouvernement allemand. Il n'est rien de plus naturel. Les services qu'elle peut rendre, tant au point do vue commercial et industriel allemand qu'à un autre point de vue, sont certainement considé- rables.
Et c'est là, nul ne peut plus le nier, sa véritable raison d'être.
Nous venons de montrer, en effet, que le rensei- gnement commercial n'est qu'un prétexte et l'on voudra bien nous accorder que ce n'est évidemment pas pour rendre service au commerce français que la Schimmelpfeng est ainsi subventionnée par une nation rivale et ennemie.
Son but réel et caché est de fournir aux maisons commerciales et industrielles allemandes le moyen d'envahir à bon escient et avec le moindre risque d'insuccès le marché français. C'est ici qu'intervient l'esprit méthodique et patient, le sens du développe- ment particulier au Germain.
Chaque branche du commerce, de l'industrie, de la production agricole, des extractions minières, de la prospection du sous-sol, a fait l'objet d'une enquête approfondie et exacte portant sur : ^
l'' Le lieu ; la description exacte de la région, de son climat, de ses moyens de communication, de sa population, de ses ressources pécuniaires, de sa
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teneur en éléments autochtones et étrangers, de ses représentants au Parlement, de leur situation de for- tune et de leur entourage ;
2° Le nombre d'ouvriers et d'employés, que com- porte le commerce ou l'industrie en question ; leurs aptitudes; leurs salaires;
3° Les frais généraux ;
4** Le mode de fabrication, d'extraction, les pro- cédés nouveaux mis à l'étude, etc. ;
5° La production journalière, mensuelle et an- nuelle; les hauts et les bas, la courbe en un mot de cette production;
6° Les matières premières;
7° Les marques de fabrique;
8° Le prix de revient;
9" Le prix de vente, etc.
Un ancien employé de l'agence Schimmelpfeng i.ous a écrit à ce sujet : « Les fiches de renseignements sont collationnées dans des cartons, groupées par villes, et le simple dépouillement d'un de ces cartons, gros comme un petit Larousse, vous donnera 'en une heure plus de renseignements qu'il ne vous en faut pour évaluer les ressources détaillées d'une ville de 20.000 habitants. Or, notez bien ceci, les doubles de tous les renseignements établis sur des maisons de quelque importance sont expédiés immédiatement à Berlin oit ils sont groupés, » 11 y a là en somme un ser- vice de fiches ethnographiques, régionales, commer- ciales et industrielles des plus ingénieux, qui corres- pond par certains points à l'admirable système de fiches anthropométriques inventé par le grand Ber- tillon. On peut s'imaginer facilement de quelle utilité seraient des renseignements si précis au cas où les
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armées allemandes pénétreraient à nouveau sur le territoire français.
Ainsi savamment documenté sur les ressources de toute nature du pays occupé par ses armées, l'enva- hisseur saurait où s'approvisionner de tous les pro- duits convoités : grains, bétail, chevaux, four- rages, etc.
Et si par une fatalité que nous ne saurions envisager sans une profonde horreur, nous étions encore une fois vaincus, notre ennemi, exactement renseigné sur les ressources de l'épargne française, désormais n'hé- siterait pas à nous imposer une indemnité de guerre formidable et cette fois savamment calculée, qui viderait dans ses fourgons tous les pauvres bas de laine de nos populations françaises si laborieuses et si économes. On sait quels regrets Bismarck ressentit de n'avoir, en 1871, exigé de la France qu'une indem- nité dé 5 milliards, qui lui semblait pourtant colos- sale au moment de la signature du traité de Franc- fort, et quelle fut sa stupéfaction de la voir si rapi- dement payée, tant nous avions hâte de voir notre territoire enfin délivré.
Grâce à la Schimmelpfeng, les Allemands pourraient hausser à coup sûr leurs exigences. On pouvait lire, en effet, le 16 septembre dernier, dans le Figaro (enquête Bourdon) ces paroles sincères de l'Allemand Alfred Kerr, directeur de la revue Pan, un des polé- mistes les plus considérables d'Outre-Rhin :
« La perspective d'une nouvelle campagne ne « rebute personne. On s'en entretient sans émoi, on « suppute le profit : l'anéantissement de la France, « une indemnité de guerre de vingt-cinq milliards, (( car on se rappelle que la dernière fois, vous avez « vraiment payé trop facilement. Et l'on se frotte les
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« mains. Vous souriez? C'est que vous ne connaissez « pas l'Allemagne d'aujourd'hui. C'est un pays de « marchands; ce qui y domine, c'est l'amour du « gain; gagner de l'argent, être riche, on n'y a pas « d'autre idéal. »
Malheur au peuple qui ne comprendrait pas de tels avertissements. Je dis cv au peuple», car le gou- vernement de la République, uniquement occupé de l'électoral et de ses dépendances, est incapable de les comprendre.
Pour en revenir à la Schimmelpfeng, nous dirons que le bureau des renseignements n'a pas disparu en France, bien qu'il ait été supprimé officiellement au ministère de la Guerre par les amis et protecteurs du traître Alfred Dreyfus. Il est tenu par Schim- melpfeng, voilà tout, et il fonctionne contrôles Fran- çais.
En effet, il débarque chaque jour à Paris des repré- sentants de maisons allemandes qui vont tout droit à l'institut Schimmelpfeng et se font remettre immé- diatement contre un bon prix — ils ne lésinent point — chacun selon sa spécialité, la liste de tous les clients de la concurrence française et la liste de ces concurrents français eux-mêmes. Fort de ces excellents tuyaux, le représentant allemand, très souvent juif, se présente à la clientèle avec une tranquille assurance, l'entortille et enlève l'affaire à moins de frais. Ainsi se trouvent supplantées et ruinées, sans même avoir eu le temps de faire « ouf ! », des maisons françaises, naguère prospères, et qui faisaient vivre un grand nombre d'ouvriers et d'em- ployés français.
Voici un exemple emprunté aux articles de Pierre Mareuilles.
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« Il y a quelques années, il y avait à Troyes une industrie très prospère, celle des fabricants de mé- tiers pour la bonneterie; de, l'aveu des gens de la partie, la concurrence étrangère ne pouvait lutter avec la production de ces fabriques. Un jour, deux ingénieurs allemands, agents d'une firme de Dussel- dorf, s'engagèrent comme simples ouvriers chez l'un de ces fabricants de métiers, puis passèrent chez un autre, enfin firent un stage chez chacun des fabri- cants de la région. Un jour ils disparurent, mais alors, chacun de ces fabricants s'aperçut que ses modèles, ses dessins avaient été copiés et l'on apprit alors la qualité de ces deux ouvriers si habiles. Bien- tôt la firme allemande pour laquelle ils avaient agi présenta dans la région troyenne, où l'industrie delà bonneterie est très répandue, des modèles de métiers copiés sur les modèles français, en un mot des con- trefaçons habiles que la loi ne pouvait atteindre. Après cette firme, ce fut le tour d'autres maisons allemandes, en sorte qu'aujourd'hui, la presque totalité des métiers de bonneterie est fournie, dans la région troyenne, par les Allemands, et lés fabri- cants français doivent se contenter des réparations. »
Voici donc dans une région bien déterminée, une industrie jadis très prospère et faisant vivre un bon nombre d'ouvriers qui, aujourd'hui, est en complet marasme.
Mais comment la Schimmelpfeng obtient-elle en France des renseignements si précieux?
A l'aide d'une armée de démarcheurs habiles, éprou- vés, attachés les uns à la maison de Paris, les autres aux succursales des provinces, qui procèdent tantôt en démontrant aux enquêtes que c'est leur avantage de se soumettre à l'enquête, tantôt, suivant les têtes,
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par une demi-intimidation ; et très rares sont les mai- sons de commerce qui osent envoyer promener les agents de la maison Schimmelpfeng. La terreur d'une mauvaise fiche est pour elles le commencement de la sagesse. Mais la Schimmelpfeng ne se contente pas de cela. Elle centralise tous les documents que lui fournissent en France, avec l'évidente complai- sance de l'État français :
1« Certains greffiers des tribunaux de commerce ;
2"* Certains greffes des justices de paix ;
3"" Certains huissiers;
4° Certains commerçants, espérant ainsi — par l'espionnage de leurs concurrents — s'immuniser contre les mauvais renseignements de Schimmel- pfeng;
5*» Certains instituteurs et secrétaires de mairie.
C'est ainsi que les plus récentes enquêtes de l'a- gence Schimmelpfeng portèrent sur la production du blé en France, l'industrie des machines d'imprimerie françaises et, enfin, la soie et les tissages lyonnais.
Or, il est clair, qu'avec ces renseignements indus- triels et commerciaux, d'autres renseignements d'un autre ordre sont obtenus.
Il est avéré, en effet, qu'il existe à l'agence trois ou quatre employés allemands ou juifs qui surveillent le travail de coUationnement et de classement de leurs camarades et qui sont chargés de recueillir et de soustraire à la curiosité de ceux-ci les pièces particulièrement intéressantes, notamment celles qui concernent les officiers de l'armée française, surtout dans les garnisons de l'Est. Ces pièces, et en général tout ce qui a un caractère d'intérêt poli- tique, sont immédiatement soumises à la direc- tion de Paris, laquelle les transmet à la direction
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de Berlin. Ce qu'elles deviennent une fois à Berlin, il n'est pas nécessaire d'être grand clerc pour le deviner.
Nous n'étonnerons personne en disant que l'agence Schimmelpfeng s'honore d'avoir ici même, à Paris, la clientèle allemande la plus sérieuse, la plus haut pla- cée.
Comme, dans tous les sujets les plus graves, il faut toujours une note ironique, la voici :
On sait aujourd'hui, de source certaine, que, dans le même temps que l'agence Schimmelpfeng pro- cédait à cette quête secrète de renseignements commerciaux, « militaires et sentimentaires », — comme eût dit le prince de Ligne, — auprès de complaisants dresseurs de fiches, notre délicieux Vadécard recueillait, pour le ministre mouchard André et pour les Percin de son entourage, des renseignements analogues auprès des mêmes indi- vidus. Que ce soit pour le compte de l'Allemagne^ que ce soit pour le compte du Grand-Orient, ce sont toujours les mêmes, en effet, qui ont le goût et les aptitudes pour ce genre de travail occulte et discrédité. Le pire châtiment du mouchard, c'est qu'il est exposé à servir d'espion. Il lui est difficile de prévoir l'utilisation ultérieure de son mouchardage. C'est ainsi que, des mêmes officines radicales etjudéo- m,açonniques — de 1900 jusqu'à aujourd'hui — s'en- volèrent des fiches de délation militaire, établies en double, qui prenaient aussitôt deux directions : Vune, par Schimtnelpfeng, vers Berlin; Vautre, par le Grand-Orient, vers le ministère de la Guerre françaiSy rue Saint- Dominique y à Paris. Le «. Co- rinthe et Carthage » d'André avait ainsi sa réplique au cabinet prussien.
24 l'avant- GUERRE
Il est impossible crimaginer rien de i')lus atroce, ni de plus complet. Cette collaboration de Schimmel- pfeng et de Vadécard dans la même besogne, — patriotique quant à Schimmelpfeng, anti-patriotique quant à Vadécard, — collaboration voulue de toute éternité par les affinités de la maçonnerie pour le juif et du juif pour l'Allemand, cette collaboration de l'espion et du mouchard définit et symbolise à jamais l'œuvre de la République contre la Patrie.
Il est très intéressant de se rendre compte de la façon dont les délateurs des loges devenaient, plus ou moins sciemment, des espions au service de l'Alle- magne. Les officiers français, leurs camarades, qu'ils mouchardaient ainsi sont bien vengés par cette cons- tatation.
Au moment où fut dévoilé le scandale des fiches — grâce à l'énergie et à la ténacité de Gabriel Syve- ton — le personnel de l'Institut Schimmelpfeng ne fut qu'à moitié surpris de constater que les princi- paux informateurs de Vadécard étaient en même temps les plus zélés correspondants de Schimmel- pfeng. Un grand nombre de ceux-ci, pris d'une frousse intense et prévoyant l'indignation de leurs compatrio- tes, le jour où le pot-aux-roses complet serait décou- vert, se hâtèrent d'adresser leur démission à l'a- gence du boulevard Montmartre, ce qui n'alla pas sans causer une perturbation profonde dans tous les services. Le directeur du bureau de Paris à cette époque, M. Karl Klee, depuis conseiller du commerce extérieur en France, n'était pas, lui non plus, très rassuré. On ne savait pas comment les choses allaient tourner. Si l'opposition prenait le pouvoir... Si on ordonnait des perquisitions chez les fichards et les francs-mouchards... Si l'on trouvait chez eux la preuve
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de leurs relations avec l'agence Schimmelpfeng... C'eût été le désastre. Pendant deux mois, ce furent des alertes continuelles dans les bureaux du boule- vard Montmartre. On saisit le prétexte d'un agran- dissement pour entasser les archives — comprenant déjà plus de six cent mille dossiers (!) — dans de vastes caisses. Il n'y avait plus qu'à clouer et à mettre en lieu sûr.
De plus, il fut défendu expressément aux rédacteurs chargés du service de la province, et jusqu'à nouvel ordre, de continuer à demander leurs renseignements aux fonctionnaires, greffiers de justice de paix, secré- taires de mairie, huissiers, etc.. On ne devait plus s'adresser momentanément qu'à des commerçants choisis, de préférence abonnés de la maison.
Enlin, une circulaire confidentielle de 1905 inter- dit de répondre aux demandes de renseignements concernant :
1* Les officiers, même en congé ;
2° Les fonctionnaires ;
3° Les journaux et les journalistes.
La circulaire spécifiait que les rédacteurs de l'a- gence ne devraient dorénavant tenir aucun compte des opinions politiques prêtées par les correspondants aux personnes sur lesquelles des renseignements se- raient demandés. Un pareil luxe de recommanda- tions et de précautions, à la suite du scandale des Fiches, prouve surabondamment qu'avant ledit scan- dale, les renseignements fournis par l'Institut Schim- melpfeng n'étaient pas exclusivement industriels et commerciaux.
L'eussent-ils été, le seraient-ils demeurés que leur nocivité, au point de vue français, n'en demeurerait pas moins redoutable. Témoin cette maison allemande
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de la région lyonnaise avec qui on eut une petite dif- ficulté et à qui la Schimmelpfeng écrivit : « J'espère « que nous marchons d'accord, sinon je serai forcé de « communiquer votre procédé aux bureaux de ren- « seignements belges et allemands qui me sont « connus. »
Un ex-abonné de Schimmelpfeng eut les yeux ouverts sur les agissements du fameux Institut par une campagne de discrédit, fort habile et sournoise, contre deux banques d'ailleurs très honorables qui avaient le tort de soutenir le commerce d'exportation locale. « On était en droit de se demander s'il n'y « avait pas, dans ces menées, une tactique voulue dont « les résultats, désastreux pour nos maisons d'expor- (( tation, eussent largement profité aux maisons « d'exportation allemandes. »
Un autre m'exposa comment Schimmelpfeng invite ses abonnés à jouer le rôle de guillotinés par persua- sion : « J'étais abonné, comme beaucoup de mes « confrères, depuis plusieurs années, quand je reçus « une circulaire m'invitant, dans mon intérêt, à « envoyer moi-même ma propre fiche boulevard « Montmartre, avec détails sur ma personne, ma « situation de fortune, mon industrie, ses résultats, o: les capitaux dont je disposais, le nombre de mes (( ouvriers... Naturellement je n'ai rien envoyé du « tout et je n'ai pas tardé à cesser mon abonnement. »
Quelques commerçants et industriels, ainsi amorcés, puis traqués, cèdent à la crainte, soient qu'ils aient un naturel enclin à la timidité, soit qu'ils aient entendu parler des représailles et vengeances possi- bles de l'institut Schimmelpfeng.
Je connais l'histoire d'un fabricant que de mauvais renseignements avaient presque acculé à la ruine,
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qui, d'abord, s'était fâché, puis composa et préféra, en fin décompte, devenir l'abonné de sespersécuteurs.
Dans une autre occasion — il s'agissait, cette fois, d'un commerçant des environs de Paris, — comme celui-ci exigeait une forte indemnité, on lui dépêcha un concurrent allemand qui s'installa à côté de lui et lui copia ses modèles. Les histoires comiques ou dramatiques, de soumission ou de révolte des indus- triels et commerçants français sont si nombreuses, que le chapitre Curiosités du rapport annuel de l'Institut, eût-il cinq cents pages de petit texte, ne suffirait pas à les contenir. Ajoutez à ceci que les dossiers concer- nant les personnes — et même leur vie privée — en dépit de la circulaire de 1905, ne manquent pas à l'agence et qu'un de ses directeurs, il y a une dizaine d'années, pouvait se targuer publiquement d'être mieux documenté sur la plupart de nos hommes politiques que le Préfet de Police lui-même . Ce n'est pas beaucoup dire, il est vrai.
Cependantqu'elleprocède ainsi vis-à-vis des commer- çants et industriels français, l'agence Schimmelpfeng a un questionnaire encore plus précis, qu'elle met à la disposition des commerçants et industriels allemands installés en France et notamment du juif allemand, décoré de la Légion d'honneur, Lucien Baumann, directeur des Grands Moulins de Corbeil. Ce Baumann est, bien entendu, un des principaux clients de l'agence Schimmelpfeng.
Chaque fois qu'un employé de l'agence Schimmel- pfeng prend un renseignement pour Lucien Baumann, il pose les questions suivantes sur chacun des bou- langers que ses moulins fournisseîit
1° Combien occupe-t-il d'ouvriers ?
2° Travaille-t-il lui-même au fournil ?
28 l'avant-guerre
3"* Combien emploie-t-il de sacs de farine par jour?
Il est bien entendu que les Grands Moulins de Corbeil ne sont pas les seuls à recevoir des rensei- gnements de la Schimmelpfeng. Les moulins Vilgrain et Simon, de Nancy, sont également ses clients. Ceux- ci, demeurés français, n'ont toutefois rien de com- mun avec les sociétés judéo-allemandes que nous poursuivons par mesure de salubrité nationale. Il im- porte de ne pas confondre. Nous extrayons du numéro de V Action Française du mardi 19 novembre 1912 les lignes parues sous la signature de notre collaborateur F... et qui corroborent ce que nous avons essayé de dégager ici, à savoir qu'en dehors de l'intérêt commer- cial il est un motif plus puissant qui pousse Schim- melpfeng à se faire le fournisseur de certaines maisons de commerce et en particulier des grands moulins de Nancy.
Nous venons de voir que Lucien Baumann, de Corbeil, recevait des fiches de renseignements de Schimmelpfeng. Il les payait à raison de 3 fr. 50 l'une.
« Eh bien, les moulins de Nancy, également abon- nés de l'agence Schimmelpfeng, reçoivent des ren- seignements établis exactement comme ceux adressés à Lucien Baumann, mais eux, ne les paient que un franc dix.
c( C'est cette différence de prix qui nous a donné l'éveil, car si, des deux clients de Schimmelpfeng, l'un devait être privilégié, c'était évidemment Lucien Baumann, compatriote de Schimmelpfeng, et non la maison française n'ayant aucune attache avec la clique juive-allemande.
« Comment expliquer cela?
(( On ne peut l'expliquer que d'une seule façon :
l'agence schimmelpfeng 29
c'estque Schimmelpfeng, ayant un intérêt puissant
A SE renseigner SUR LA SITUATION DE TOUS LES BOU- LANGERS DE LA RÉGION FRONTIERE, c'eST-A-DIRE DES DÉPARTEMENTS DE LA MeURTHE-ET-MoSELLE, DES
Vosges et de la Meuse, devait, pour justifier ses
RECHERCHES ET SES ENQUÊTES, s'aSSURER, n'iMPORTE A QUEL PRIX, LA CLIENTELE DE LA SEULE MAISON SE TROUVANT EN RELATIONS d'aFFAIRES AVEC TOUS CES BOULANGERS.
« Cette exp] ication est la seule logique et acceptable ; nous avons tenu, cependant, à nous procurer des preuves indéniables de son exactitude. D'abord, il sera très facile de montrer qu'en fournissant au prix de 1 fr. 10 l'un ses renseignements, Schimmel- pfeng fait, au point de vue commercial, une affaire désastreuse.
« Premièrement, cette somme minime de 1 fr. 10 n'entre pas tout entière dans son coffre-fort, puisqu'il accorde au courtier qui a traité avec la maison Vil- grain et Simon, une commission de dix pour cent ; ce courtier reçoit en outre un traitement fixe de 200 francs par mois.
« D'autre part, nous avons démontré naguère que chacun des renseignements établis par Schim- melpfeng, lui revient, l'un dans l'autre, à 1 fr. 75 ou 2 francs.
« Comment, dans ces conditions, peut-il s'en tirer ?
« Pour résoudre ce problème, il n'y avait guère qu'un moyen : pénétrer dans l'antre de Schim- melpfeng et étudier, dans ses archives mêmes, quel- ques-uns des dossiers qui y sont sévèrement gardés et surveillés. Nous avons pu accomplir cette tâche et nous venons aujourd'hui mettre sous les yeux de nos lecteurs un des renseignements types de l'agence
30 l'avant -GUERRE
Schimmelpfeng. Ce sont les copies de ces renseigne- ments qui sont adressées aux clients.
« Voici, à titre d'échantillon, un des nombreux ren- seignements adressés aux moulins Vilgrain et Simon :
« X..., boulanger à S... {Vosges)
« X... a repris de son père, il y a une dizaine d'an- nées, cette bonne petite boulangerie de campagne qui, depuis plus de cinquante ans, a toujours été tenue par des membres de la famille.
« Il est honnête, intelligent et travailleur ; il est bien secondé par son fils, qui travaille avec lui au fournil; sa femme, aidée par un domestique, s'occupe des livraisons.
« La maison possède une bonne clientèle rurale ; elle emploie environ dix gros sacs de farine par semaine.
« X... passe pour posséder une bonne aisance en dehors de son commerce et ses paiements s'effectuent correctement.
« R. 868, 22.5.12.
1. Vilgrain et Simon
2. Berlin. »
« Quelques mots d'explication au sujet des anno- tations qui suivent le texte du renseignement. 868, c'est le numéro du rédacteur qui, d'après les textes des correspondants, a établi le renseignement; suit la date à laquelle le renseignement a été rédigé *. Au-dessous, les noms des clients à qui le renseigne- ment a été transmis. Or, nous avons pu constater
1. Numéro et date ont été modifiés par notre collaborateur.
[Note de V auteur.)
l'agence schimmelpfeng 31
que tous les renseignements fournis à la maison Vilgrain et Simon, tous, sans exception, ont été, comme celui qui précède, envoyés également à Berlin.
« Nous avons donc le droit de dire que l'opération commerciale réalisée avec la maison Vilgrain n'est qu'un prétexte, une simple précaution destinée à justi- fier les agissements de Schimmelpfeng. Il doit fournir à l'état-major allemand et à Vintendance des rensei- gyiements précis; il faut que les Allemands sachent exactement sur quelle qua^itité de farine et de pain pourra compter V armée d'iywasion lors de la prochaine guerre. Rien déplus simple : on se fait demander ces renseignements par la maison Vilgrain et Siinon qui y précisément, en a besoin ; on les lui cède, non pas à prix coûtant, mais à perte ; à la rigueur on les lui donnerait même gratuitement ; le principal^ c'est que Vopération d'espionnage soit couverte, masquée par uyie opération comm,erciale en apparence licite. »
Voilà avec quelle habileté procèdent les tenanciers de l'agence Schimmelpfeng.
Pour terminer, un simple détail.
Nous avons appris que, depuis moins de six mois, Lucien Baumann a demandé à Schimmelpfeng trois renseignements sur la maison Vilgrain et Simon.
Des enquêtes ont été faites simultanément à Paris et à Nancy. Dans cette dernière ville, les correspon- dants chargés par Schimmelpfeng de l'enquête con- cernant les moulins Vilgrain et Simon, ont reçu un « formulaire » contenant les instructions sui- vantes :
« La situation financière de la maison ci-dessus indiquée est connue de nous ; nous désirons simple- ment savoir si, à votre connaissance, un changement
32 l'avant-guerre
important ne s'est pas récemment produit ou n'est pas sur le point de se produire dans cette maison. »
Les personnes qui nous ont communiqué ces ren- seignements se demandent si Lucien Baumann ne songerait pas à mettre la main sur les moulins de Nancy. Déjà maître des approvisionnements de la capitale, qu'il peut affamer à son gré, il lui serait tout aussi facile de jouer, à Nancy, le même rôle qu'à Corbeil. Là-bas comme ici, il peut compter sur le concours des capitalistes juifs et sur la monstrueuse inertie de notre gouvernement.
Et pourtant, Lucien Baumann, c'est l'approvision- nement de Paris. C'est de lui, nous allons le voir, que dépendra, au moment de la mobilisation, la solu- tion de la si grave question de l'alimentation de la capitale. C'est donc un assez puissant seigneur juif allemand pour que l'on étudie de près son intéres- fjante personnalité et le rôle prépondérant et fatal qu'il pourrait être appelé à jouer, le cas échéant, dans notre pays.
CHAPITRE III
LUCIEN BAUMANN
LES GRANDS MOULINS DE CORBEIL DITS " PETITE PRUSSE " ET LE JUIF-ALLEMAND LUCIEN BAUMANN
La question du ravitaillement de Paris en temps de guerre est une de celles qui devraient préoccu- per au premier chef un gouvernement national.
Il est de toute évidence qu'un aliment de première nécessité, tel que le pain, ne doit jamais faire défaut dans une agglomération d'habitants aussi considérable que Paris.
Paris affamé, on l'a déjà malheureusement vu, c'est l'émeute à coup sûr et à bref délai. Or, au moment où toutes les forces devraient être tendues vers les fron- tières envahies, les discordes civiles ne seraient pas faites pour faciliter la tâche des arptiées en contact avec l'ennemi .
Il faut donc multiplier les garanties nécessaires au J?on fonctionnement du service, si compliqué même
%
34 L*AVANT-GUERRE
en temps de paix, du ravitaillement de la capitale. La première garantie que l'on doive exiger, c'est que ses rouages ne soient pas faussés par des mains étrangères, c'est que les produits de première né- cessité soient entre les mains de vrais Français de France. Même si les directeurs de ces services d'approvisionnement étaient les plus braves gens du monde, recommandés et appuyés par des person- nages importants, le fait qu'ils seraient de nationa- lité allemande, devrait, surtout dans les circons- tances critiques actuelles, les amener à se retirer immédiatement.
Vis-à-vis de ceux qui occupent de tels postes, le moindre soupçon est encore de trop.
Nul n'ignore, à l'heure actuelle, l'importance des Grands Moulins de Oorbeil. Considérable, en effet, en temps de paix, elle le serait bien davantage en temjos de guerre, car c'est d'eux que dépend en majeure partie l'approvisionnement de Paris.
Si nous ouvrons V Annuaire des Sociétés par actionSy nous y voyons que la Société des Grands Moulins de Corbeil a pour objet : le commerce et l'industrie de la minoterie en général; l'établissement des Grands Moulins établis à Corbeil et connus sous le nom d'Anciens établissements Darblay et Déranger, la création, l'achat, la vente, l'exploitation de tous autres établissements et usines de même nature et toutes opérations et participations de commerce ou d'indus- trie se rattachant aux grains, fécules et autres produits analogues.
Les Grands Moulins de Corbeil sont les plus importants de France. Leur production quotidienne est de 6.500 quintaux. La farine fabriquée en une journée suffit à produire 610.000 kilogs de pain, ce
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qui représente la nourriture journalière d'un million de personnes.
Ils rayonnent sur toute la France. Ils ont des agences dans toutes les villes, des agents un peu partout. C'est donc là une véritable puissance dans l'industrie de la meunerie et, étant donné l'aliment de première nécessité que ces moulins fabriquent, il serait du devoir du gouvernement de s'opposer à ce que, à la tête de la société qui les dirige, se trouvât un Lucien Baumann, administrateur-délégué.
Mentionnons, tout de suite, que Lucien Baumann, avant d'occuper ce poste aux Grands Moulins de Cor- beil, s'occupait avec son frère des Illkirche Mûhlen- werke, moulins situés àlllkirch, bourgade à sept kilo- mètres de Strasbourg.
Or Lucien Baumann est juif et juif allemand.
La question de sa nationalité fut posée dès le début de la nouvelle société à l'assemblée des actionnaires. On lit en effet dans la Vie financière du samedi 4 mars 1905 :
4 mars 1905 :
Compte-rendu de rassemblée générale ordinaire et extraordinaire des Grands Moulins de Corbeil.
{Discussion sur les frais trop considérables occasion- nés par les directeurs et administrateurs)
Un Actionnaire. — Vous avez présenté tout à l'heure un nouveau candidat, M. Baumann. On vous a demandé quelques renseignements sur lui ; je vous prierai d'en donner. Veuillez me dire qui il est et ce qu'il a fait.
M. Wallut (administrateur). — C'est bien simple : M. Baumann est Alsacien.
36 l'avant-guerre
Le même actionnaire. — Allemand ou Français '? (Bruit.)
M. Wallut. — M. Baumann est né dans un moulin, car son père était meunier à Strasbourg.
Il a été élevé dans le moulin de son père. M. Bau- mann a donc acquis, en matière de meunerie, une com- pétence tout à fait spéciale.
Ensuite, il est devenu associé de son oncle, puis directeur de la Société Baumann frères. Cette Société possède à l'heure actuelle à Strasbourg un moulin tout à fait remarquable à tous les points de vue. Ce moulin est excessivement important, puisqu'il broie actuelle- ment 2,400 quintaux de blé en 24 heures. C'est, à mon avis, le moulin le mieux monté d'Europe. Vous voyez que M. Baumann nous est précieux à tous égards.
Le même actionnaire. — Je retiens ceci, que M. Baumann est un meunier, qu'il a un ou des moulins très importants en Allemagne, et qu'il est notre con- current.
On voit qu'à cette époque, l'honorable M. Wallut était un chaud partisan de M. Lucien Baumann. Il serait intéressant de savoir si, depuis lors, son juge- ment ne s'est pas modifié. Mais ce qui est encore plus curieux, c'est le débat suivant, tel qu'il nous est rapporté dans La Vie Financière du 17 avril 1905 :
Séance du 16 avril.
Un actionnaire. - On nous a demandé pourquoi M. Baumann était à la tête de l'administration des Grands Moulins de Corbeil, et comment il se faisait qu'il pût y avoir ici un Allemand, ex-soldat allemand^ dit-on, membre de la municipalité de Strasbourg, et propriétaire de moulins allemands.
M. Baumann ne joue évidemment pas ici le rôle de terre-neuve, venu pour sauver une société qui tombe. C'est un intérêt de spéculation qui le guide.
Mais il y a un fait beaucoup plus grave. Si, malheu-
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reusement, une guerre éclatait entre la France et l'Allemagne, que deviendrait M. Baumann ?
Vous savez que les Grands Moulins de Corbeil appro- visionnent une partie de Paris. Il est facile de faire des provisions de grains et de farine. Que ferait M. Bau- mann ? Resterait-il Français pour servir les intérêts des actionnaires ?
Un autre actionnaire. — En matière d'industrie, il n'y a pas de nationalisme. Amenez-nous des Russes et des Japonais, pourvu qu'ils nous donnent des dividendes.
Il est dommage que le nom de cet actionnaire si patriote n'ait point passé à la postérité. Certainement, en prononçant ces paroles, il a dû se croire un homme très fort. Le jour où, la guerre étant déclarée, les Grands Moulins passeraient instantanément aux mains de l'autorité militaire allemande, — les colla- borateurs de M. Lucien Baumann ayant aussitôt revêtu leurs uniformes — ou bien, paralysés, cesse- raient de moudre, cet homme très fort s'apercevrait qu'il a proféré une énorme bêtise... Mais écoutez la fin ;
M. Wallut. — M. Baumann est Alsacien. 11 est né
Français. Ses parents avaient des établissements en
Lorraine et il est resté, comme beaucoup d'autres, en
Alsace.
Un actionnaire. — Il n'a pas opté.
M. Wallut. — Il avait trois ans.
L actionnaire. — Depuis, il a eu vingt ans et il aurait pu devenir Français.
Quelque temps après l'installation définitive de M. Lucien Baumann, il y eut des tiraillements au sein des actionnaires des Grands Moulins de Corbeil, certains se plaignant d'être frustrés au bénéfice du fonds de réserve. Au cours de la séance agitée de
38 l'avant- GUERRE
l'assemblée générale du 13 avril 1908, un des plus anciens membres du conseil d'administration, l'hono- rable M. J..., fit les intéressantes déclarations sui- vantes :
Enfin, ne me sentant pas capable de donner aux Moulins de Corbeil l'impulsion nouvelle qu'il leur fallait, je suis allé demander à des gens, de mes amis, M. V..., ici présent, votre vice-président, M. B..., qui est empêché d'assister aujourd'hui à l'assemblée pour raison de santé, d'entrer au conseil d'administration. Je vous rappellerai que ces messieurs sont, en Belgique, synonymes de probité et d'honneur. C'est moi qui les ai introduits au conseil d'administration, et j'espère que les actionnaires ne me paieront pas d'ingratitude.
MM. V.... et B...., qui sont gens d'honneur et de pro- bité, sont allés trouver un de leurs amis, particulière- ment compétent en matière de meunerie, M. Baumann, votre directeur actuel etc..
Ainsi donc, d'après Monsieur J..., c'est à la Bel- gique que nous sommes redevables de l'introduction de la juiverie allemande dans les Grands Moulins de Corbeil dont dépend l'approvisionnement de Paris. Ce processus n'est pas unique.
A la suite de la campagne que nous avions entre- prise depuis plusieurs mois contre le formidable danger de confier la direction des Grands Moulins de Corbeil à un étranger, M. le sénateur Le Breton intervint au Sénat, le mardi 25 juin 1912. Cette in- tervention amena de la part de M. Fernand David, alors Ministre du Commerce, l'affirmation que M. Lu- cien Baumann n'était pas étranger : « Le Directeur de la société dont vous parlez est Français », dit-il.
Il fallait au ministre Fernand David une stupé- fiante audace pour qu'il osât faire une semblable réponse.
LUCIEN BAUMANN 39
Lucien Baumann appartient à une famille juive allemande, quelques-uns disent d'origine badoise, campée en Alsace depuis plusieurs générations.
La réponse faite par l'actionnaire en 1905 à l'as- semblée générale du 16 avril et la prévision des diffi- cultés à venir incitèrent Lucien Baumann à « devenir Français ». Il alla trouver son compatriote Jacques Grumbach, allié du traître juif Alfred Dreyfus, neveu de l'espion juif Emile Weyl et chargé par le gouver- nement de la République du contrôle et de la police des étrangers, de la sûreté nationale, au deuxième bureau de la direction générale au ministère de l'In- térieur. A la suite de démarches sans doute compli- quées, car elles demandèrent un certain temps*, l'acte de dénationalisation attestant que Lucien Bau- mann avait cessé de posséder la nationalité d'Alsa-
1. Ces formalités ont été simplifiées par la création des
bureaux de naturalisation. Le nombre des étrangers qui vivent
liez nous et les facilités qu'ils ont à revêtir la nationalité
française devaient faire naître ces fabriques de « citoyens deux
fois français ».
On relève que, de 1867 à 1889, la moyenne annuelle des naturalisations était de 458 ; depuis 1889, elle est de 5,968 Pour la seule période 1910-1911, on en a compté 13,430.
Un dernier convoi de plus de treize mille étrangers a donc porté, l'année dernière, le nombre total de ceux-ci en France à cent vingt mille. Et ce nombre n'est plus exact, à l'heure actuelle, car la période 1911-1912 nous aura valu, sans aucun doute, un contingent i^lus considérable encore que la précé- dente.
On sait que le gouvernement a ordonné une plus grande sévérité dans la surveillance des étrangers. Cette mesure, de l'application de laquelle nous avons quelques raisons de douter, concerne naturellement les étrangers non naturalisés. Mais croit-on que ces derniers soient les seuls dangereux? Et n'y aurait-il pas une lourde erreur à s'hypnotiser sur la vertu de cet acte administratif qui s'appelle la natm^alisation.
Mais revenons à ces fameux bureaux de naturalisation dont nous avons signalé plus haut la création. Naturellement les
40 lAvANT-GUERRE
cien lui fut délivré par la préfecture de Strasbourg en date du 15 juin 1907, à l'effet de sa réintégration dans la qualité de Français en vertu de la loi du 26 juin 1889 et par application de l'article 18 du Code civil.
Cette formalité, réclamée par le rôle d'adminis- trateur des Grands Moulins de Corbeil, n'empêchait nullement Lucien Baumann de demeurer Allemand comme devant. En effet, d'après la loi allemande, la qualité d'Allemand ne se perd jamais, d'où l'adage « Semel Germanus semper germanus. » Le projet de loi Delbruck, du nom du secrétaire d'État allemand
tenanciers de ces officines font une abondante réclame. Voici la reproduction d'une affiche apposée, par les soins de l'un d'eux, sur les murs de Lj'^on :
AVIS AUX ÉTRANGERS
NATURALISATION
MM. les Étrangers qui désireraient devenir Citoyens Fran- çais, feront bien de profiter des facilités accordées par les Loîs sur la Nationalité de 1889 et 1893, et de s'adresser au
BUREAU DES NATURALISATIONS DIRIGÉ par J.- Alfred CHILD
Expert-traducteur juré près les tribunaux, auteur du « Manuel de Naturalisation française «, 1, rue Constantine (au premier), LYON, de 1 heure à 4 heures ou de 6 heures à 7 heures du
soir.
(Si Von écrit, Indiquer la profession, Vârje et depuis com- bien de temps on habite la France sans interruption et si on est marié ou non.)
Prompte exécution de toutes les formalités exigées pour la naturalisation des Etrangers.
On fait venir, légaliser et timbrer les Actes de l'Etat Civil français et étrangers. — Lettres de Commerce (Abonnements). — Traduction officielle de tous actes, pièces, jugements, pro- têts, etc. — Formalités pour la constitution de Sociétés « Li- mited ».
LUCIEN BAUMANN 41
qui l'a présenté au Reichstag, le 23 février 1912, dit formellement à ce sujet :
Il est vrai que nous reconnaissons qu'il y a des
CAS où UN CITOYEN ALLEMAND SE TROUVANT A l'ÉTRAN GER POURRAIT AVOIR UN INTÉRÊT A ACQUERIR, A COTÉ
DE LA VIEILLE NATIONALITÉ, une ^nouvelle
NATIONALITÉ, ET QUE, TOUT EN POSSÉDANT CETTE DER- NIERE, IL POURRAIT EN MÊME TEMPS REPRÉSENTER
UTILEMENT LES INTÉRÊTS DE SA VIEILLE PATRIE. Pour faire face a cette éventualité,
NOUS AVONS, DANS LA NOUVELLE LOI, UNE DISPOSITION DÉCLARANT QUE CEUX QUI AURONT DEMANDÉ ET OBTENU LA NATIONALITÉ DANS UN PAYS ÉTRANGER, MAIS EN ONT PRÉALABLEMENT AVERTI LES AUTORITÉS COMPÉTENTES DE LEUR PAYS ET EN ONT OBTENU l' AUTORISATION,
NE PERDENT PAS LA NATIONALITÉ ALLE- MANDE.
Voilà qui est carré. Voilà qui est net. Soyez certains que Lucien Baumann avait préalablement averti les autorités compétentes de son pays, ou mieux que les autorités compétentes de son pays lui avaient elles-mêmes donné le conseil de se « faire Français », de « devenir Français ». M. Fernand David, ex-ministre du Commerce, est un bien grand ignorant, s'il ne connaît pas la loi Delbruck. Il est un bien grand coupable, si, la connaissant, il ose faire la réponse qu'il a faite à M. le sénateur Le Breton.
M. Fernand David n'avait qu'à demander à son collègue du Ministère de la Guerre, si Lucien Bau- mann, « devenu Français » dans une intention très DÉTERMINÉE, uc figurait pas sur une certaine liste de personnages à surveiller et à arrêter dès la première heure de la mobilisation, liste qui aurait survécu à la destruction, par les amis du traître Dreyfus, du
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Bureau des Renseignements. Payant d'audace et sentant la situation intenable, le juif allemand Lu- cien Baumann écrivit à M. le sénateur Le Breton la lettre suivante :
Corbeil, le 26 juin 1912. Monsieur le Sénateur,
Je lis dans le Journal Officiel d'aujourd'hui que, dans la séance d'hier, vous avez déclaré à la tribune du Sénat que la Société des Grands Moulins de Corbeil était placée sous la direction d'un étranger, on dit même d'un officier de la Land\Yehr allemande.
Comme cette allégation me vise personnellement, la vérité m'oblige à la rectifier d'une façon très nette.
Né à Strasbourg en 1867, de parents français, j'ai dû, après 1870, rester avec ma famille dans mon pays natal; mais, sur ma demande, j'ai obtenu, en 1907, ma réintégration dans la nationalité française.
Je suis donc Français, et, non seulement je n'ai jamais été officier allemand, mais encore je suis, depuis ma réintégration, soumis aux lois militaires françaises, fai- sant partie de la classe 1907.
Veuillez agréer, Monsieur le Sénateur, l'expression de mes sentiments distingués.
Signé : Lucien Baumann.
Je faisais remarquer le lendemain que Lucien Baumann, étant juif, né de parents juifs, n'avait aucun droit, en aucune circonstance, au titre de Français.
Mais j'entrai dans sa fiction de « juif égale fran- çais », et je posai à ce juif les questions que voici :
1° Si Lucien Baumann est si Français que ça, comment a-t-il attendu de 1870 à 1907 — c est-à-dire trente-sept ans — pour demander sa réintégration? N 'a-t-il pas précisément attendu d'être délié de toute obligation militaire réelle en France?
LUCIEN BAUMANN 43
2° Comment peut-il se faire que, sujet allemand de 1870 à 1907, il ait échappé à la conscription alle- mande? IL EST IMPOSSIBLE QU'iL n'aIT PAS ACCOMPLI SON SERVICE MILITAIRE EN ALLEMAGNE ;
S"" Sa réintégration dans l'armée française en 1907, à Vâge de quarante ans — c'est-à-dire dans la réserve de la territoriale^ — est une mauvaise plaisanterie. Dans quel corps français, en effet, satisfait-il à cette illusoire obligation militaire?
Je concluais :
« On saisit ici sur le vif l'aplomb phénoménal de « cet agent juif-allemand qui combine toutes choses « pour « se faire Français », de façon que cette na- « turalisation à la Grumbach ne comporte pour lui if. aucune obligation militaire en France, alors que « forcément il avait dû remplir son obligation mili- « taire en Allemagne ! Juif de naissance, Allemand « de choix, puis « Français » par nécessité, soldat « allemand, réserviste de la territoriale française, « cet agent de l'étranger qui nous affame, nous me- « nace et essaie de nous jeter de la poudre aux « yeux, en attendant de nous tirer du plomb dans R le corps, est complet. »
Ces considérations étaient exposées et ces ques- tions étaient posées dans le numéro de VAction Française du 28 juin 1912. Il n'y fut fait aucune es- pèce de réponse par le principal intéressé. Or, peu de temps après, nous recevions la lettre suivante que nous adressait quelqu'un de très compétent :
Monsieur le rédacteur en chef,
Dans le numéro de ï Action Française du 28 juin 1912, vous avez reproduit une lettre du sieur Lucien Baumann adressée à M. le sénateur Le Breton. M. Baumann y
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déclare que, né à Strasbourg en 1867, il a obtenu en 1907 sa réintégration dans la nationalité française et que, depuis lors, il est soumis aux lois militaires françaises, faisant partie de la classe 1907.
Dans les commentaires dont vous faisiez suivre cette lettre, vous observiez que M. Baumann, réintégré dans l'armée française en 1907, à l'âge de quarante ans, était classé dans la réserve de l'armée territoriale.
Voulez-vous me permettre de vous signaler qu'il y a là, de votre part, une légère erreur? Ce que vous dites serait vrai si nous étions encore sous l'empire de la loi de recrutement du 15 juillet 1889, laquelle disposait, dans son article 12, que « les individus devenus Français par voie de naturalisation, réintégration ou déclaration faite conformément aux lois, sont portés sur les tableaux de recensement de la première classe formée après leur changement de nationalité », mais (< ne sont assujettis qu'aux obligations de service de la classe à laquelle ils appartiennent par leur âge » .
Mais la loi du 21 mars 1905 a modifié ces dispositions. Son article 12, après avoir ordonné, comme celui de la loi de 1889, l'inscription des naturalisés ou réintégrés sur les tableaux de recensement de la première classe formée après leur cliangement de nationalité, ajoute, en effet :
•< Les individus inscrits sur les tableaux de recense- ment en vertu du présent article... sont incorporés en même temps que la classe avec laquelle ils ont pris part aux opérations du recrutement. Ils sont tenus d'accom- plir le même temps de service actif, sans que toutefois cette obligation ait pour effet de les maintenir sous les drapeaux... au delà de leur vingt-septième année révolue. Ils suivent ensuite le sort de la classe avec laquelle ils ont été incorporés. Toutefois, ils sont libérés à titre défi- nitif à l'âge de cinquante ans au plus tard. •>
Il suit de là que le sieur Lucien Baumann, réintégré dans la nationalité de Français en 1907, à l'âge de qua- rante ans, a été incorporé en même temps que la classe 1907, mais dispensé de service actif. 11 suit le sort de cette classe, laquelle, incorporée en 1908, a été libérée en 191U et versée dans la réserve de l'armée active.
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M. Baumann fait donc partie de la réserve de l'armée active, et y restera jusqu'à sa libération définitive, en 1917, car à cette époque la classe 1907 sera encore dans la réserve de l'armée active.
Cette classe 1907 doit faire cette année même sa pre- mière période de 23 jours. M. Baumann va donc revêtir, s'il ne l'a déjà fait, l'uniforme français.
Veuillez agréer, Monsieur le rédacteur en chef, l'ex- pression de mes sentiments les plus dévoués.
Un, commandant de reeruiemeni en retraite.
D'après ceci, le juif-allemand, délégué aux Grands Moulins de Corbeil, à l'approvisionnement de Paris par le gouvernement allemand, a dû revêtir l'uniforme français pour une période de 23 jours. Voici Lucien Baumann à cheval sur deux devoirs militaires, puis- que, comme nous l'avons expliqué, sa naturalisation française et même sa parodie de service militaire français à l'âge de quarante ans ne Verupêchent nulle- tnentj aux termes de la loi allemande, de denfieurer un bon et fidèle sujet allemand. Ainsi donc, dès la première heure de la mobilisation, habillé d'un uni- forme mi-parti, français à droite, allemand à gauche, un casque à pointe négligemment fiché sur son képi de soldat de deuxième classe, M. Landwehr-Réserve Lucien Baumann aurait toute facilité de saboter, d'une main solide, « zum befehl », la première mino- terie de France, de façon à affamer Paris.
Non content d'avoir fait marcher pour sa défense le ministre du Commerce Fernand David, le juif-alle- mand Lucien Baumann fit encore donner en son hon- neur le président du Conseil d'administration des Grands Moulins de Corbeil, M. Benjamin Rossier, qui tint le discours suivant à l'assemblée générale
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d'octobre 1912 {L'Information du dimanche 27 octo- bre 1912).
Messieurs,
Permettez-moi d'ajouter quelques paroles au rapport de votre conseil d'administration.
Nous désirons en effet adresser aujourd'hui, devant tous, un témoignage reconnaissant à M. Lucien Bau- mann, pour la façon intelligente et expérimentée dont il a su prendre en mains la défense de vos intérêts, depuis le jour où il a été appelé à rénover les Moulins de
Corbeil.
La situation prospère qu'il a réussi à leur reconquérir lui a attiré des attaques aussi violentes qu'injustifiées. On l'a traité d'étranger, et on a, par déduction, présenté votre Société comme une minoterie à la solde de l'Alle- magne. 11 est nécessaire de protester hautement contre de pareilles allégations. M. Baumann, né à Strasbourg en 1867, a réclamé sa réintégration de Français, quand, après avoir réorganisé votre entreprise, il consentit à quitter sa ville natale et la haute situation qu'il y occu- pait, pour se consacrer à la direction des Grands Mou- lins de Corbeil, affirmant ainsi qu'il était Français par le cœur autant que par la naissance.
Quant à votre Société, ce n'est pas à vous. Messieurs, que nous aurions à déclarer qu'elle est une Société émi- nemment française; française par ses origines, française par ses actionnaires, française par son conseil d'admi- nistration, française par son personnel, française par toutes les ressources qu'elle est prête à mettre au ser- vice du pays à son premier appel.
Mais nous avons tenu à proclamer ici ces vérités que vous connaissez tous, afin que vous soyez assurés que, sans nous laisser émouvoir par d'injustes polémiques, M. Baumann et nous, nous continuerons à remplir, comme par le passé, notre devoir de mandataires, sou- cieux de contribuer à la prospérité de votre Société, et certains de justifier ainsi la confiance que vous voulez bien nous témoigner.
Cette apologie du juif allemand Lucien Baumann
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est d'une bouffonnerie cynique. Si quelqu'un, en effet, était peu qualifié pour délivrer un pareil certificat de civisme français, c'était certainement M. Benjamin Rossier.
Premièrement, M. Rossier n'est pas Français mais Suisse. De plus, en tant qu'émanant du président du Conseil d'administration des Grands Moulins de Cor- beil, son attestation forcément intéressée n'a aucune espèce de valeur. M. Rossier est également adminis- trateur délégué de la Banque suisse et française et chacun connaît les attaches allemandes de ladite Banque suisse et française, laquelle fait les affaires des Grands Moulins de Corheil et est en étroites et constantes relations d'affaires avec elle. Il suffit de consulter la liste des personnalités composant le Con- seil d'administration de l'une et l'autre Société pour s'en convaincre.
Enfin ce n'est pas devant une assemblée d'action- naires et par la voix d'un président du Conseil d'ad- ministration que Lucien Baumann eût dû répondre indirectement à nos accusations. C'est devant l'opi- nion publique.
Lucien Baumann, malgré ses défenseurs mala- droits, eût dû être deux fois suspect au gouvernement français en sa double qualité de juif et d'Allemand.
Or il n'est pas le seul de sa race aux Moulins de Corbeil et, malgré les affirmations, sans valeur du reste, de M. Rossier, nous persistons à affirmer que le haut personnel de ces moulins était tout récem- ment encore peuplé de juifs et de sujets allemands ou suisses allemands. Les créatures de Lucien Bau- mann y foisonnent.
Mais, dira-t-on, s'il est en effet déplorable qu'un établissement de cette importance soit entre les
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mains d'un Allemand en temps de paix *, il n'est pas douteux qu'en temps de guerre ses services seraient réquisitionnés par l'autorité militaire. Telle
1. Dans une seule journée Lucien Baumann a pu provoquer impunément une hausse de trois francs par quintal de blé. Le résultat a été de faire monter immédiatement le prix du pain de 5 centimes le demi-kilogramme.
Décidé à provoquer une crise sur le blé au début de l'été 1912, mais devinant que son rôle serait dénoncé et flairant que des questions lui seraient posées par des actionnaires récalcitrants, il racheta à tour de bras ses propres actions des Moulins de Corbeil comme un homme qui aura besoin à un moment donné de tenir complètement la Société dont il est ladministrateur- délégué.
Le 14 février 1912, Lucien Baumann faisait acheter 35 ac- tions ; Le 15, il en faisait acheter 84; Le 17, il en faisait acheter 20 ; Le 20, il en faisait acheter 13 ; Le 21, il en faisait acheter 41 ; Le 22, il en faisait acheter 4 ; Le 23, il en faisait acheter 34 ; Le 26, il en faisait acheter 45 ; Le 27, il en faisait acheter 35; Le 28, il en faisait acheter 21; Le 29, il en faisait acheter 2.
Ces achats se poursuivaient pendant tout le mois de mars. Le 16 mars, Lucien Baumann faisait acheter 100 actions d'un coup et, le 19, il en faisait acheter 51. Dans l'intervalle, il ne vendait pas un seul titre.
Cependant les Journaux qui se disent patriotes taisaient le nom et le cas de Baumann.
Seul, à la Chambre, le socialiste Lauche a osé tenir le dis- cours suivant : « Ce sont les grands meuniers qui ont spéculé à la hausse, en accaparant le blé, et vous ne les frappez pas. Vous les connaissez pourtant bien. Il y a le directeur des Moulins de Corbeil. C'est ce meunier, un Allemand, qui détient le blé. Que feriez-vous en cas de conflit international, vous qui vous dites patriotes? Les Moulins de Corbeil ont joué à la hausse et ont étranglé le marché. En même temps ils vendent la farine à un prix qu'aucun petit meunier ne peut offrir. Il y a là une manœuvre abominable qui consiste à faire monter le prix du blé et à ruiner le petit commerce. »
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est sans doute l'intention du gouvernement. C'est alors aussi que risque d'intervenir le sabotage pa- triotique allemand, dès que sera apposé sur les murs le décret de mobilisation. L'envahissement allemand en temps de paix permet ce sabotage sys- tématique en temps de guerre, facilite la destruction des magasins d'approvisionnement et des travaux d'art, lignes de chemins de fer, communications télé- graphiques, aqueducs, viaducs, ponts et forteresses. L'armature industrielle de notre pays a fait d'im- menses progrès depuis 1870-1871. Ces progrès eux- mêmes nous exposent davantage aux entreprises de l'envahisseur, soit qu'il anéantisse et disloque nos ouvrages, soit qu'il se contente d'éteindre les feux, de pervertir ou de supprimer le combustible. On conçoit ainsi l'intérêt qu'a l'Allemand à se glisser, dès à présent, dans ce que j'appellerai nos œuvres vives, à se faire notre fournisseur en pain blanc d'ali- mentation humaine ou en pain noir d'alimentation industrielle, — c'est-à-dire en charbon — de façon à pouvoir, au moment voulu, et sur un simple signal de Berlin, nous affamer de toutes les manières.
Cependant une note publiée par V Intransigeant ouvre un jour singulier sur les procédés employés par le juif allemand Lucien Baumann « pour neutraliser d'avance la grande presse ».
« Il a fait fabriquer par sa minoterie un produit quelconque, « une farine semblable à toutes les farines, mais qu'il a ma- « nufacturée sous forme de petites boîtes destinées à être ven- « dues au détail. Et sous prétexte d'annoncer ce produit, les « représentants de M. Baumann vont se présenter dans les « grands journaux, offrant des budgets importants de publi- « cité aux rédacteurs pour ce produit à tancer.
« On comprend bien qu'il n'y a Jà qu'un prétexte. Mais dès « que les Moulins de Corbeil auront ainsi mis le pied dans les « divers organes de la grande presse, ils estiment qu'ils s'en « seront faits des amis. »
50 l'avant-guerre
Je suppose qu'à l'instant où l'autorité militaire française réquisitionnera les Grands Moulins de Cor- beil, ceux-ci explosent pour une cause inconnue — à la façon d'un simple cuirassé de Toulon — ou, par une intervention également inconnue, se trouvent dé- traqués et incapables de moudre avant deux ou trois mois, une des pièces détachées allemandes essen- tielles à leur fonctionnement manquant comme par hasard. Il sera trop tard alors pour maudire le mé- chant destin et réunir une commission d'enquête. Dût Lucien Baumann s'arracher les cheveux de déses- poir, le mal sera fait et irréparable. La ville de Paris sera affamée. Je sais bien que Lucien Baumann cher- chait récemment à acquérir des moulins de la région du Nord très connus. Mais ceux-ci ne suppléeraient point en ces heures critiques, à la paralysie acciden- telle, si inopportune ou si opportune — selon qu'on l'envisage de l'un ou de l'autre côté de la frontière — des Grands Moulins de Corbeil.
Ces moulins sont outillés et organisés de telle façon qu'en un quart d'heure ils puissent devenir inu- tilisables. Cette constatation, au dire des techniciens, serait extrêmement facile à faire, si on pouvait les visiter. Mais depuis quelques mois surtout, ces éta- blissements d'utilité publique, et que chacun a inté- rêt à contrôler, sont préservés « à l'allemande », c'est-à-dire comme une forteresse, contre la curiosité des visiteurs français ^ .
Néanmoins nous savons que l'outillage est alle- mand. Il est identique à celui des Grands Moulins de Strasbourg installés d'une façon grandiose et stra- tégique à Sporeninsel. Il en est de même, assure-t-on,
1. L'huile des machines provient également de la m on
LUCIEN BAUMANN 51
du comité technique. Au jour de la mobilisation, si une pièce de rechange manquait, et si Ton s'adres- sait au fournisseur d'Outre-Rhin, il est bien évident que la réponse serait : « Mille regrets. Nous ne pou- vons vous fournir cette pièce. Le gouvernement de notre pays l'interdit absolument. »
Donc le gouvernement serait dans l'impossibilité de faire fonctionner les Moulins de Corbeil faute de pièces de rechange. Que deviendrait alors cette fa- meuse réquisition?
En attendant, M. l'administrateur-délégué des
allemande Stern-Sonneborn comme en témoigne la commande suivante passée par Lucien Baumann :
GRANDS MOULINS DE GORBEIL
Anciens établissements Darblay et Déranger
Fondés en 1830.
Société anonyme au capital de douze millions entièrement
versé.
Siège social
A
Corbeil (S.-et-O.)
Adr. Télég. : Corbellum-Corbeil. Téléphones : 74-82-83-84-85.
Corbeil, 4 juillet 1912.
Société anonyme Stern-Sonneborn.
Rue Victor-Hugo Pantin (Seine).
Nous avons bien reçu votre honorée du 3 courant. Nous avons remplacé l'huile Titania de la turbine à vapeur par de l'huile Gloria, le 30 juin, et avons immédiatement remarqué une différence de température.
Au palier de butée comme au palier de côté régulateur, la température de sortie de l'huile était 65° centigrades avec l'huile Tilania; elle est actuellement à 55°.
Il est vrai qu'il faut tenir compte de l'état de propreté du
52 l'avant-guerrb
Grands Moulins de Corbeil s'entraîne en temps de paix à ruiner les meuniers français.
Le procédé habituel consiste à forcer la main aux acheteurs pour des quantités de farine supérieures à leurs besoins, en leur laissant espérer un crédit pro- portionné à l'importance de l'achat. Puis, quelque
réfrigérant qui vient d'être nettoyé, mais il est toutefois cer- tain que, môme avec un réfrigérant envasé, la température ne dépassera pas 57 à 58' centigrades.
En ce qui concerne l'huile blanche pour transmissions, nous avons remarqué encore un abaissement de température, mais n'avons encore rien pu noter comme consommation.
A vous hre, veuillez agréer, Messieurs, nos salutations empressées.
Le chet du service technique.
Illisible.
Grands Moulins de Corbeil. P. P»" de l'administrateur-délégué,
Illisible.
En s'adressant ainsi à un compatriote, notre homme a toutes chances pour être bien servi. Mais rien ne prouve, par contre, que la Société allemande Stern-Sonneborn apporte le même soin dans la fourniture de l'huile destinée au scmce des automobiles de l'armée française. C'est elle en effet qui a été choisie par le Ministère de la Guerre, comme en témoigne cet extrait du prospectus de la Société :
MINISTÈRE DE LA GUERRE
Après un concours sécère, tant technique que pratique, 32 concurrents ont été éliminés et
l'Huile Sternoline-Ossag
a été SEULE retenue comme remplissant toutes les condi- tions requises : elle est donc adoptée exclusivement pour le
SERVICE DES AUTOMOBILES DE l'aRMÉE FRANÇAISE
Ajoutons qu'en Allemagne le gouvernement vient de décré- ter que les carburants des automobiles militaires seraient dorénavant un monopole d'Etat !
LUCIEN BAUMANN 53
temps après, Lucien Baumann et ses agents refusent ou restreignent le crédit et attaquent les boulangers et les courtiers qui ont donné dans leur panneau. D'où une série de litiges qui représentent, pour les petits boulangers, la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Les Grands Moulins de Corbeil font par ailleurs une concurrence acharnée aux meuniers français. Ils vendent leur farine a des prix très
RÉDUITS, CHOSE ÉTONNANTE, CAR ILS ONT DES FRAIS DOUBLES : TRANSPORT DU BLÉ AUX MOULINS ; TRANSPORT DE LA FARINE SUR LES MARCHES.
Lors des inondations de 1910, Lucien Baumann augmenta sa farine de six ou sept francs par gros sac (150 kilogs), au moment précis où les boulangers consentaient d'énormes sacrifices pour venir en aide aux populations. Voilà, pour un « Français de la quarantaine en 1907 », du patriotisme bien entendu. Jugez un peu de ce que Lucien Baumann eût fait s'il était demeuré sujet et soldat allemand !
Le 2 octobre 1912, ÏHuniimiité signalait un nou- veau coup de Bourse de Lucien Baumann qui se serait livré, d'après elle, à une opération singulière :
« L'opérateur principal — je n'hésite pas à le nom- mer — est un personnage que ses précédents exploits en Bourse ont déjà rendu notoire : c'est M. Bau- mann, directeur des Grands Moulins de Corbeil. Un peu avant trois heures, un de ses représentants à la Bourse a déclaré : « Je prends et je donne à 30,65. » C'était là l'étranglement classique du découvert, qui, la base de liquidation étant 27,90, devra donc payer une prime de 2,75 par quintal. Le bénéfice réalisé par les haussiers serait, dit-on, considérable. »
Le fait qu'une minoterie joue à la hausse n'est évidemment pas banal, mais il s'agissait là d'une
54 L*AVANT-GUERRE
spéculation à laquelle aurait été mêlée la Banque Suisse et Française, autrement dit la banque des Grands Moulins de Corbeil.
Il était naturel que les deux sociétés, ayant des administrateurs communs, eussent partie liée dans un coup de ce genre. Or il est de notoriété publique que, selon l'expression de la Revue Financière des Deux Mondes, la Banque Suisse et Française est <( une caudataire de la Deutsche Bank »,
Il y aurait une étude des plus curieuses à faire sur les procédés masqués d'intermédiaire et de substitu- tion qu'emploie ainsi la finance allemande pour capter et malaxer et faire servir aux visées alle- mandes l'or français. Certaines maisons, d'apparence française, ne sont que des agences allemandes qui drainent impudemment nos capitaux. Tout cela, en attendant le grand projet d'introduction des valeurs allemandes à la Bourse de Paris, desideratum non seulement de toute la finance juive, mais encore de tous les parlementaires français du clan des Ya, éminents jetons de présence dont quelques-uns se donnent comme de fougueux patriotes.
Pour en revenir à la Banque Suisse et Française des Grands Moulins de Corbeil et de Lucien Bau- mann, apprenez que :
Sous l'inspiration de la finance teutonne, cette Gret- chen hybride a constitué un organisme bizarre qui vient d'être baptisé sous le nom de Société Financière Fran- çaise. Cette Société a été créée, le 13 juin dernier, au capital de six millions de francs, divisé en 1.200 actions de 5.(^00 francs. On notera, en passant, le chiffre parti- culièrement élevé du pair. C'est la méthode allemande.
Inutile de dire que la nouvelle entreprise n'a de fran- çais que le nom. Il suffît de lire attentivement ses sta- tuts pour voir que le mot « étranger » y figure aussi
LUCIEN BAUMANN 55
souvent que le mot n français », la dernière signification ne servant que de paravent.
Or, cette Société, qui ne compte pas encore trois semaines d'existence, vient d'avoir l'aplomb de deman- der l'appui de capitaux français en vue d'un grand emprunt de cinq millions de francs, en 10.000 obliga- tions de 500 francs 4 1/2 0/0 qui seraient émises au prix de 470 francs.
Que valent de pareils titres?
Pour s'en rendre compte, il suffit de méditer sur les observations suivantes :
1° L'objet de la Société Financière Française est extrêmement vague, et cela à dessein, parce que son véritable but, qui est de venir en aide à des industriels ou à des commerçants allemands gênés dans leurs ati'aires, ne pouvait être avoué publiquement;
2° Le Conseil d'administration ne renferme aucune personnalité de marque ;
3*^ Les formalités exigées pour un appel au crédit en France n'ont pas été, en réalité, observées. La loi exige, en effet, la publication d'un premier bilan. Or, celui-ci ne paraîtra que le 30 juin 1913, donc un an après la tentative d'émission à laquelle on procède actuellement ;
4° Les obligations ne reposent sur aucune garantie, car c^est un leurre de proclamer gravement que ces titres ont comme garanties le capital et les prêts con- sentis par la Société.
On se garderait bien de déclarer que les prêts en question seraient garantis par une hypothèque au profit des obligataires. Dès lors, ils n'ont comme sûreté que les brouillards de la Sprée ou du Neckar ;
5° Fait significatif : ni la Banque de Paris, ni le Cré- dit Lyonnais, ni la Société Générale, ni aucun de nos grands Etablissements de crédit n'ont ouvert leurs gui- chets à la souscription. Ce silence équivaut à une con- damnation.
Conclusion : Les Grands Moulins de Corbeil, Lucien Baumann, la Banque Suisse et Française, la
56 l'avant-guerre
Société Financière Française, tout cela n'est qu'une même pompe allemande à plusieurs pistons qui aspire l'or et fait monter le cours du blé. Ces sociétés allemandes arborent le titre de « françaises », simple mesure de prudence pour écarter les soupçons des patriotes peu clairvoyants, et agitent avec frénésie sur leur tête notre pavillon national afin de couvrir leurs menées diverses.
Dans quelle autre nation civilisée une telle situa- tion serait-elle tolérée?
Imagine-t-on un minotier français installé aux portes de Berlin, susceptible d'affamer Berlin en vingt-quatre heures en cas de guerre et s'amusant, en temps de paix, à faire la disette par l'agio- tage?
C'est cependant ce qui se passe chez nous trait pour trait. Le gouvernement de la République nous impose une servitude sans exemple.
DEUXIEME PARTIE
LA DÉFENSE NATIONALE
TRIBUTAIRE DE L'INDUSTRIE
ALLEMANDE
LA DEFENSE NATIONALE TRIBUTAIRE DE L'INDUSTRIE ALLEMANDE
Ce qui se passe pour le pain à Corbeil se passe également pour le charbon, ce pain noir de l'indus- trie, dans nos forts de l'Est. Avant d'exposer l'extra- ordinaire situation qu'a faite de ce chef, à ces forts, le gouvernement de la République, je tiens à rappe- ler encore que, de 1899 à 1905, le grand État-Major allemand ne fut plus considéré par nos gouvernants que comme une réserve de témoins éventuels à la décharge et en faveur de Dreyfus. Il importait donc de mécontenter le moins possible ces témoins, de faire tomber une à une devant eux toutes les barrières de la Défense Nationale. On verrait après... On a vu.
CHAPITRE PREMIER
DANS NOS FORTS DE L'EST
LE CHARBON ET L'OUTILLAGE SONT
FOURNIS PAR DES ALLEMANDS
LE CHARBON
Nous venons de voir qu'un Lucien Baumann, juif- allemand « naturalisé » à 40 ans, aurait toutes facili- tés pour affamer la capitale et désorganiser une grande partie du marché français, au moment d'une déclaration de guerre. De même les compagnies alle- mandes qui fournissent de charbon allemand nos forts de l'Est, pourraient à ce moment critique, soit en cessant leurs approvisionnements, soit en pratiquant un sabotage méthodique du produit livré, contraindre ces forts à une inaction dont les conséquences seraient désastreuses.
Si incroyable que le fait puisse paraître aux aveugles, qui ont encore conservé quelques doutes sur la malf aisance du régime, la situation est la sui- vante : Nos forts de l'Est reçoivent leur charbon de
62 LAVANT-GUERRE
fournisseurs allemands, auxquels le gouvernement français accorde même des facilités qu'il refuse à nos nationaux. L'outillage de ces mêmes forts est également allemand.
Nul n'ignore quel rôle capital joue la question du charbon dans l'industrie moderne. Le charbon est aussi utile que le fer et il est actuellement hors de doute que si nous voulions interdire à l'Allemagne de continuer à s'approvisionner chez nous de minerai de fer nous irions rapidement à un conflit armé avec notre voisine. Sans charbon, sans fer, l'industrie ne peut vivre et sa ruine entraînerait fatalement et à bref délai celle d'un État aussi essentiellement industriel que l'État allemand.
Mais si cette question du charbon est appelée à jouer un rôle vital dans l'industrie en temps de paix, ce rôle n'est pas moindre dans l'industrie de la guerre.
Si le charbon donne la vie à toutes ces puissantes machines qui distribuent la chaleur, la force, la lumière, c'est aussi grâce à lui que nos arsenaux s'emplissent. Sans lui nos vaisseaux seraient des corps sans vie. Sans lui nos forts de l'Est ne pour- raient plus faire entendre les puissantes voix dont retentiront un jour peut-être proche, les échos de nos frontières. Il faut donc que ces sentinelles vigi- lantes soient largement approvisionnées.
C'est le premier devoir d'un gouvernement d'y tenir la main et aussi d'exercer sans relâche une surveillance continuelle sur la qualité du charbon livré. Cette fourniture doit être entourée de toutes les garanties possibles.
La première devra être demandée à la nationalité du fournisseur. Il faudra s'adresser avant tout à un fournisseur français. L'État pour son industrie mili-
DANS NOS FORTS DE l'eST 63
taire ne peut agir comme un simple particulier qui, lui, a toujours le droit de rechercher les conditions financières les plus avantageuses.
Même si ses nationaux demandaient pour leur four- niture un prix plus élevé que celui offert par la con- currence étrangère, l'Etat ne devrait pas hésiter à l'acceptt^r. C'est son intérêt certain.
En s'adressant à son ennemi, dont le devoir patriotique est l'opposé du sien, l'Etat commet un véritable crime contre la Patrie.
C'est de ce crime que se rend coupable notre gou- vernement quand il approvisionne nos forts les plus importants, les plus menacés, à l'aide d'un combus- tible fourni par notre ennemi éventuel. Il les expose ainsi, pour le jour de la déclaration de guerre, soit à la paralysie, soit au sabotage. Car le charbon fait partie de l'outillage du fort et de son approvisionne- ment au même titre que le pain est la base de l'ali- mentation. Le charbon est indispensable aux dyna- mos actionnant les grosses pièces de siège. Il est indispensable à la forge, à l'atelier de réparations. Il est indispensable au chauffage. Le fort sans charbon est frappé d'inanition. Il n'a pas d'autre alternative que de se faire sauter lui-même ou de se rendre à l'adversaire.
Parmi les principaux fournisseurs du charbon uti- lisé dans nos forts de l'Est, se trouvent deux firmes allemandes :
1*" La maison Hansen et Neuerburg de Sarrebrûck* dont l'agent à Nancy serait un juif du nom de P... ;
1. Dès l'apparition dans VAetion Française de nos pre- mières notes sur la germanisation par le combustible des forts français dans la région de l'Est, c'est-à-dire au mois de décembre 1911, alors que les principaux journaux de Paris,
64 l'avant-guerre
2® La compagnie des mines de la Houve, dont le siège est à Strasbourg, 1, rue du Faisan, qui compte
même patriotes, jugeaient inutile de signaler à leurs lecteurs que la plupart de nos forts de l'Est étaient approvisionnés de charbon allemand, notre confrère Hubert Baill}' nous apportait sa contribution dans les lignes suivantes :
« La maison allemande Hansen et Neuerburg a son siège à Paris, 3, rue de La Boëtie, et des succursales, notamment à Sarrebrûck et à Nancy.
« Le directeur de la succursale de Nancy se nomme Mau- rice Madère.
« Indépendamment de la maison Hansen et Neuerburg, les forts et camps retranchés du 7* corps, tels que Belfort, Lan- gres, Epinal, sont alimentés en charbon par MM. Chatel et Dollfus, de Belfort, et ceux-ci fournissent exclusivement du charbon allemand.
« Ajoutons que Chatel et Dollfus fournissent aussi, toujours exclusivement de charbons de provenance allemande, un grand nombre d'administrations publiques de la région, le lycée de Vesoul, pour nous borner à un seul exemple.
« Nous nous bornons pour aujourd'hui à ces indications précises, que le Ministère de la Guerre ne démentira pas. «
On m'affirme — de source sérieuse — que l'un des deux propriétaires de la maison allemande Hansen et Neuerburg, laquelle approvisionne en charbon allemand plusieurs de nos forts de l'Est, serait consul d'Allemagne à Charleroi. Le renseignement est à vérifier sur place. S'il était exact, il en résulterait que ce personnage officiel allemand aurait accès, comme fournisseur de l'État français, dans nos forts français!
On m'assure aussi que la maison allemande Hansen et Neuerburg, de Sarrebriick, aurait, avec la Compagnie du Gaz à Paris, un contrat qui lui assurerait le monopole de la vente du coke aux industriels abonnés de ladite Compagnie. Quand une autre maison se présenterait chez ces industriels pour leur proposer du coke, il serait répondu : « Impossible. Nous devons nous fournir chez Hansen et Neuerburg. «
On raconte encore que pendant la crise franco-allemande de l'été de 1911 on pouvait voir, dans la gare de Neufchâtcau, des soldats français en unijorme, déchargeant du charbon d'un wagon tout Jîambant neuf portant les aigles alle- mandes. Ce charbon était destiné aux ouvrages français, tf Spectacle honteux » et symbolique. Venez donc nier, après cela, que le gouvernement de la République soit bien celui de l'étranger !
DANS NOS FORTS DE l'eST 65
dans son conseil de surveillance M. H. d'Olsinger et le baron de Stûcklé, et qui a pour directeur M. Uhry.
Ceci n'est d'ailleurs qu'un point secondaire. Ce qui est inouï, invraisemblable et scandaleux, &est que ces fournitures de charbon allemand, livré par des maisons allemandes à nos forts de VEst, aient été ohteriues par adjudication.
Si nous ouvrons le cahier des clauses et conditions générales imposées aux titulaires de tous les marchés relatifs au département de la Guerre (du 16 février 1903) à la page 9, article 25 : « Provenance des four- nitures » , on lit ceci ;
Sauf exceptions prévues dans le cahier des charges spéciales, les matières et denrées livrées doivent être d'origine française, ou provenir des colonies françaises ou des pays de protectorat. Les effets et objets doivent être de confection ou de fabrication française, ou avoir été confectionnés ou fabriqués soit dans les colonies françaises, soit dans les pays de protectorat. Le titulaire du marché aura à justifier de l'origine, toutes les fois qu'il en sera requis.
Je n'ai pas besoin de m'étendre longuement sur la nécessité absolue d'une telle précaution, dont on re- trouve la trace dans tous les cahiers des charges spéciales. En voici un exemple pris au hasard, dans le cahier des charges des ateliers de construction de Lyon :
Article 12. — Les charbons doivent- provenir exclu- sivement des mines françaises. Les briquettes peuvent être obtenues avec des matières de provenance étran- gère, pourvu qu'elles aient été fabriquées dans des usines françaises.
6Ç l'avant-guerre
Mais depuis quelques années, les cahiers de charges spéciales laissent là-dessus une étrange lati- tude. J'ai, par exemple, sous les yeux celui du 20^ corps d'armée, du i®"" avril 1911 au 31 mars 1912. J'y lis à l'article 3 : Coyiditions de provenance :
Par exception, les combustibles de provenance étran- gère seront admis dans les livraisons à faire dans les places ci-après, pourvu qu'ils remplissent les condi- tions de qualité énumérées à l'annexe 1 du cahier des charges communes et du présent cahier des charges spéciales... Toutefois, les adjudicataires ne pourront livrer des combustibles de provenance étrangère qu'au- tant que cette provenance aura été nettement spécifiée dans leur soumission.
Suit une énumération des places ainsi consacrées au combustible allemand et à des adjudicataires qui ne sont autres, évidemment, que les agents des mai- sons allemandes : Baccarat, Bourlémont, Frouard, Lunéville, Manonviller, Nancy, Neufchâteau, Pagny- la-Blanche-Côte, Pont-à-Mousson, Pont- Saint- Vin- cent, Rambervillers, Saint-Nicolas-du-Port et Toul... C'est, comme on le voit, assez coquet.
Il serait fort intéressant de savoir quelle influence est intervenue au ministère de la Guerre, pour annihiler une clause et condition essentielle, et même nationale, au bénéfice des mines allemandes de la Houve et de la firme allemande Hansen et Neuer- burg. Le bon marché relatif des charbons allemands ne saurait être une explication. En effet, en admet- tant que les mines et houillères françaises du Nord et du Pas-de-Calais fassent des prix plus élevés que les compagnies allemandes, il existe une multitude de firmes françaises ayant en mains, par marchés
DANS NOS FORTS DE l'eST 67
réguliers, des charbons allemands susceptibles d'être livrés, même par adjudication, à de bons prix pour les intérêts de nos forts. Ces maisons, au point de vue de la défense nationale, offriraient toutes les garanties. En cas de guerre, elles pourraient très bien prévoir, dans leurs contrats, des remplacements de charbons allemands par des charbons de mines françaises, avec lesquelles elles travaillent égale- ment.
En d'autres termes, il y a deux choses dans un contrat : la livraison et le livreur. Non seulement, le gouvernement français, quand il s'agit des forts de l'est, accepte, au mépris du cahier des charges générales, la livraison allemande ; mais il accepte encore, sans nécessité, le livreur allemand.
Demandons-nous maintenant ce qui se passerait au moment de la déclaration de guerre : à la page 14, article 38 de la même brochure bleue du ministère de la Guerre, on lit ceci :
Sauf indications contraires, contenues dans les cahiers des charges spéciales, le cas de guerre ne dégage pas l'entrepreneur des obligations qu'il a contractées. Tou- tefois, si les conditions du marché ont été profondé- ment modifiées du fait de la guerre, l'entrepreneur est admis à réclamer au ministre, sauf recours au Conseil d'Etat, soit la résiliation pure et simple du traité, soit le paiement d'une indemnité équitable.
De deux choses l'une : ou la firme Hansen et Neuerburg et la compagnie des mines de la Houve continueraient, en cas de guerre franco-allemande, d'approvisionner de charbon nos forts de l'Est. Ou elles rompraient le contrat et cesseraient leurs livrai- sons.
68 L*AVANT-GUERRE
Dans le premier cas, je n'ai pas à insister sur le danger de confier à l'adversaire en armes l'approvi- sionnement en charbon de nos forts. C'est comme si un particulier confiait les clés de sa maison à son pire ennemi et le chargeait d'aller faire ses provisions de bouche. On voit d'ici les conséquences. La firme Hansen et Neuerburg, les mines de la Houve se trou- veraient dans la cruelle nécessité ou bien de trahir l'Allemagne, en livrant de l'excellent combustible aux forts français de l'Est, ou bien de tromper la France en lui livrant, pour sa défense immédiate, un mauvais charbon i. Dans la crise de tension politique et économique précédant la déclaration de guerre, la même redoutable alternative se poserait quant au stock de réserve. J'imagine les angoisses par les- quelles ont dû passer MM. Hansen et Neuerburg et les mines de la Houve, pris entre leurs obligations professionnelles et leur devoir national, pendant la récente période d'alarme juillet-août-septembre 1911 2.
1. Comme illustration aux risques que fait courir l'emploi du charbon étranger, un correspondant me communiquait la note suivante : « Vers la fin de la guerre de Sécession, les Confédérés aux abois, bloqués de toutes parts par les escadres fédérales, s'avisèrent de laisser capturer par l'ennemi un navire chargé de briquettes de charbon. Naturellement les fédéraux s'en servir pour chauffer leurs navires de guerre. Or, certaines de ces briquettes étaient bourrées de poudre. Des explosions se produisirent dans les chaufferies, et certains navires furent immobilisés pour longtemps. »
Ceci, c'est le péril n" 2, par sabotage direct. Le péril n' 1, par refus de livraison du combustible, par la faim noire, est à la fois plus banal et plus menaçant.
2. Ecoutez ceci, qui est d'hier et que m'affirment des per- sonnes bien renseignées. Dès le début de la dernière tension diplomatique au sujet du Maroc-Congo, le gouvernement français demanda à la maison Clément-Bayard un dirigeable neuf. D'autre part, comme il y en avait en service plusieurs
DANS NOS FORTS DE l'eST 69
Dans le second cas, — rupture brusque du contrat, — je laisse à penser le désarroi que causerait dans l'approvisionnement en combustible de nos forts, sur la zone la plus menacée, ce changement soudain de fournisseurs, au moment de la mobilisation ! Une pareille mesure équivaudrait au désarmement de plusieurs de nos forts de l'Est, dès le début des hos- tilités.
Pendant qu'on chercherait, au milieu du trouble général, à s'approvisionner ailleurs, en toute hâte, les colonnes allemandes passeraient tranquillement sous des forts français aux feux éteints.
La raison se refuse vraiment à admettre que les
de son système, on lui donna l'ordre de mettre, le plus tôt possible, des pièces de rechange à la disposition de l'autorité militaire.
Parmi les organes essentiels du dirigeable sont les radia- teurs. Ceux qu'on utilise sur les Bayard sont de fabrication allemande. Clément avisa le fournisseur. La réponse aurait été : « Le gouvernement allemand nous interdit absolument de vous faire la livraison. » C'est alors qu'on aurait eu recours aux services de la maison française Grouvclle- Arquimbourg.
De toutes façons, le gouvernement allemand serait dans son rôle en faisant cette réponse, car c'est être dupe que de donner, de ses propres mains, fût-ce sous forme de pièces détachées, des avantages à son ennemi éventuel.
Mais vous conviendrez que ce qui s'est produit pour des radiateurs pourrait très bien se produire pour le charbon de nos forts de l'Est. Que deviendraient ceux de ces forts qu sont les clients de la maison Hansen et Neuerburg ou de la Compagnie de la Houve, le jour où la tension s'accentuant entre la France et l'Allemagne, ces firmes allemandes leur déclareraient : « Le gouvernement allemand nous interdit absolument de vous faire la livraison. » Il est bien probable que les intendants militaires des régions menacées regrette- raient amèrement alors leur folle confiance et les exceptions « en faveur du combustible de provenance étrangère « de leurs cahiers des charges spéciales. Mais hélas! il serait trop tard.
70 l'avant-guerre
pouvoirs publics, qui devraient être compétents en la matière, n'aient pas entrevu et même violemment pressenti les inconvénients si graves que présente- rait en temps de paix la fourniture, par des maisons allemandes, du charbon de nos forts et ses dangers terribles en cas de guerre.
On ne voit guère qu'une raison possible : l'éco- nomie *. Il résulte de mon enquête qu'en effet, les maisons allemandes livrent leur charbon allemand à des prix plus ba-s que ne le livrent les maisons françaises, auxquelles l'autorité militaire aurait un intérêt national à s'adresser. Il s'agit précisément de savoir si, dans ce cas, cet intérêt national ne prime pas, et de beaucoup, l'intérêt tout court. Il s'agit aussi d'envisager si ces bas prix, ces « jorix de sacrifice », consentis par les maisons allemandes, en cas de fourniture aux forts français de l'Est, ne sont pas suspects, s'ils ne sont point recommandés ou commandés par le gouvernement allemand, désireux d'avoir ainsi la main sur nos défenses de frontière et de pouvoir, à la mobilisation, les paralyser instan- tanément. Le fait qu'une pareille question peut s'im- poser au patriotisme justement vigilant et inquiet est de trop, P^emarquez bien ceci : quand la maison Fried Krupp a besoin pour ses canons de minerai français, elle s'adresse à M. Thyssen, conseiller privé de l'empereur Guillaume II, possesseur et ex- ploiteur des mines du Calvados et de la Manche. Quand nos forts de l'Est ont besoin de combustible, non seulement celui-ci est allemand, mais encore il est livré à nos forts par des firmes allemandes. Du
1. Nous avons vu que celte raison ne .saurait être prise au sérieux. Quand l'intérêt national est en jeu il est de bonne politique de ne pas lésiner sur les prix.
DANS NOS FORTS DE L*EST 71
côté allemand, on est garanti. Du côté français, on ne l'est pas.
J'arrive à la question d'intérêt matériel, de prix de transport, qui sert d'excuse à l'intendance mili- taire française, — de mauvaise excuse, — pour ger maniser en combustible nos forts de l'Est et risquer ainsi, soit le sabotage, soit l'extinction des feux au moment de la mobilisation. L'un de mes correspon- dants explique la chose avec beaucoup de clarté. Je lui cède ici la parole : « Par exemple, pour la « place de Neufcliàteau, le transport de dix tonnes « venant du Nord français est environ de 100 francs, « tandis que celui de dix tonnes de la vSarre est d'en- « viron 89 francs. Pour Nancy, la différence est a encore plus forte en faveur des houilles alleman- (( des. Comme prix d'achat, les houilles du Nord c( sont plus chères que celles de la Sarre. Seulement, a la qualité des ciiarbons français est bien supé- « rieure. Ils sont moins flambants et donnent plus « de chaleur.
« Le plus surprenant, c'est que nous avons, en « Lorraine française, des gisements de houille très (f importants et que l'on ne peut exploiter, en raison « des difficultés que soulève l'État français. On dirait « que le gouvernement français favorise Ventrée des « houilles allemandes^ en imposant des charges exa- « gérées aux Français qui voudraient exploiter les « gisements de la Lorraine française. »
C'est ici le moment de faire remarquer que le kar- tel allemand, — institution d'État, sous le contrôle du gouvernement de l'Empire, — favorise, par tous les moyens, l'exportation du combustible allemand. Notamment, il majore le prix de vente au consom- mateur allemand, ce qui lui permet de livrer à très
72 l'avant-guerre
bas prix à la clientèle étrangère. Ce procédé, com- mun à beaucoup de kartels allemands, est d'ailleurs emprunté aux trusts américains. D'autre part, les tarifs des chemins de fer allemands sont sensible- ment inférieurs aux nôtres. Enfin, tout combustible destiné à l'exportation bénéficie encore d'une forte réduction sur ces tarifs. Or, en vertu des fameuses « conventions scélérates » établies en 1884, par le juif Raynal, les charbons étrangers introduits en France sont admis à voyager sur tous nos réseaux, aux tarifs de leurs pays d'origine. C'est ainsi qu'un wagon de charbon du bassin de la Ruhr, expédié à Paris, paie moins de transport qu'un wagon expédié de Lens ou d'Anzin.
Nous retrouvons ici le processus habituel : d'un côté, — du côté gouvernemental français, — aban- don, négligence, trahison des intérêts les plus évi- dents du pays et de l'industrie nationale. De l'autre,
— du côté gouvernemental allemand, — effort d'ex- pansion et de pénétration nationales sur toute la ligne.
Non contente de ces avantages, l'Allemagne n'hésite pas à se servir de la fraude, — vraisemblablement de complicité avec l'Etat français qui ferme les yeux,
— pour faciUter encore ce qu'on appelle « l'invasion noire », l'invasion du pain noir de l'industrie. J'ai sous les yeux une lettre de voiture ayant servi au transport d'un wagon de charbon allemand. L'expé- diteur est le directeur d'une mine appartenant à un très haut personnage de l'Etat allemand. Ce wagon de charbon a profité d'un tarif de faveur dit « pour la troupe ». L'expression « pour la troupe » est por- tée, en toutes lettres, sur la feuille de routage. Or, il y a fraude, car la station destinataire, — Four-
DANS NOS FORTS DE l'eST 73
mies-Nord, — ne possède pas de troupes, et le wa- gon était tout bonnement destiné à un marchand qui en a pris livraison. Il parait que ce procédé est cou- rant. Il montre, en tout cas, à quel point les Alle- mands se gênent peu chez nous.
Le correspondant que je citais tout à l'heure ajou- tait : « En réalité, l'économie faite par l'État fran- A çais, en acceptant les houilles allemandes pour les « besoins de notre défense nationale, n'est pas con- « sidérable. Il serait même difficile de soutenir qu'il « y ait intérêt matériel à accepter ces houilles sou- « vent pierreuses, qui demanderaient tout au moins « une surveillance constante et des analyses. Car il « n'est pas du tout certain qu'elles répondent aux « conditions des cahiers des charges. »
Si, maintenant, élargissant la question, nous nous plaçons au point de vue de l'avenir des mines et des charbonnages français, nous y trouvons un autre sujet d'inquiétude. L'invasion méthodique, continue et favorisée du combustible allemand, en s'accen- tuant, amènera bientôt une paralysie de toute la production houillère française. Le fléau du chômage, qui commence à se manifester sur maint carreau de mine, ira s'aggravant, avec son cortège d'émeutes et de troubles économiques. Ici, comme en d'autres cir- constances^ c'est à la guerre civile entre Français qu'aboutit l'envahissement allemand.
Il est bien entendu que le gouvernement français serait armé pour résister à cet envahissement, s'il le voulait. Il n'aurait — comme la loi l'y autorise — qu'à frapper le charbon allemand d'un droit com- pensateur au montant des primes dont il bénéficie dans son pays d'origine. Mais il y a quelque ironie à parler de ce moyen, alors que le gouvernement
74 l'avant-guerre
républicain donne précisément une prime au char- bon allemand, quand il s'agit des forts de la fron- tière.
La vérité est que, pour avoir la paix, et aussi par cupidité, le gouvernement de la République n'a cessé, surtout depuis l'affaire Dreyfus et la sup- pression du bureau des renseignements, de concéder à l'Allemagne tous les avantages qu'elle a voulus, en fournitures d'Etat industrielles et commerciales, même et surtout intéressant la défense nationale, en concessions minières, en privilèges aux compagnies maritimes, etc., etc.. C'est ainsi que l'appétit de notre puissante voisine s'est encore accru en man- geant.
Hier, c'était le Congo, qu'elle engloutissait. De- main, ce sera l'introduction des valeurs d'Etat alle- mandes sur le marché de Paris qu'elle exigera d'un ton belliqueux. Après -demain, ce sera l'établisse- ment d'un véritable Gibraltar, sinon à Cherbourg, au moins aux environs, à Diélette, par exemple. Nous en arriverons ainsi à payer rançon, à être démem- brés, dépecés en pleine paix apparente, comme après une guerre désastreuse.
Voilà donc nos forts approvisionnés en charbon allemand par Hansen et Neuerburg et les mines de la Houve, autrement dit à la merci du combustible allemand. Mais ce n'est pas tout. Ils sont encore à la merci de V outillage de transport allemand. Vienne la guerre ils pourront tout comme les Grands Moulins de Corbeil, être frappés en quelques heures de para- lysie.
C'est en effet à la firme allemande Orenstein et Koppel (Arthur Koppel de Berlin) que nos forts de l'Est, notamment Belfort, Toul, Saint-Mihiel et Ver-
DANS NOS FORTS DE l'eST 75
dun, demandent la fourniture d'un type de locomotives chargées de faire le service, au dire de Koppel lui- même, sur le tracé de nos forts. Ces locomotives à essieu breveté permettent aux roues motrices de s'ins- crire dans de très fortes courbes, à cause du nombre de ces roues, malgré la puissance relative que ce bre- vet permet de leur réserver. La principale référence allemande de ces locomotives Koppel est l'adminis- tration de la Guerre pour les forts de la Lorraine an- nexée. Leur principale référence française est la clientèle de nos forts de l'Esté. La mise en route et les essais de ces machines sont effectués par les re- présentants et mécaniciens de Koppel, lesquels ont ainsi toutes facilités pour l'inspection périodique de nos forts de l'Est. Il est superflu d'ajouter que toutes
1. La Société Orenstein et Koppel affectionne d'une manière toute spéciale les terrains militaires. Ne lisait-on pas, en effet, dans le Matin du 5 juin 1912, les lignes suivantes :
« Sur le plateau de Satory, à Versailles, au centre de l'or- ganisation défensive et des approvisionnements de guerre d'une partie importante du camp retranché de Paris, la cons- truction d'une voie ferrée militaire a été depuis peu commen- cée pour desservir les ouvrages fortifiés et les magasins. Tout le travail de la voie, en partie en déblai, est effectué par une puissante machine excavatrice à vapeur, véritable monument, provenant de la maison A. Koppel, de Spandau. Les diffé- rentes parties de cette machine ont été un beau jour déposées sur le plateau, dans un très grand nombre de caisses volumi- neuses venant directement de Prusse. Des Allemands sont venus ensuite procéder au montage et à la mise en marche, toujours en plein milieu d'un terrain militaire, où opèrent à la fois, chaque jour, une commission des poudres, une commis- sion de réception de mitrailleuses, de cartouches, etc., etc., sans parler de tous les divers établissements militaires qui sont situés sur le même terrain. »
Le plus fort c'est que la machine en question portait en grosses lettres l'indication de sa provenance allemande. Mais nous n'en sommes plus à nous étonner du sans-gêne alle- mand sous l'œil bienveillant de nos gouvernants.
76 l'avant-guerre
les pièces de rechange nécessaires aux réparations viennent, comme pour les Grands Moulins de Corbeil, directement d'Allemagne.
Mais qu'est-ce donc que cette fameuse Société Orenstein et Koppel à laquelle nous sommes rede- vables de ces magnifiques locomotives si complai- santes, si roulantes en temps de paix mais qui le seraient sans doute moins si l'empereur Guillaume nous déclarait la iruerre?
Cette société allemande, comme son nom l'indique assez clairement, a fusionné en 1911 avec la société des chemins de fer à voie étroite Decau ville.
Les personnalités compétentes en la matière s'ac- cordent à reconnaître que, en temps de guerre ces très ingénieux petits chemins de fer Decauville, que tout le monde connaît, auraient une importance con- sidérable. On les installe avec facilité. On les trans- porte aisément d'un point à l'autre. Pour toutes les besognes de transport, ds suppléeraient avec avan- tage la traction par chevaux, et chacun sait que la raréfaction de notre cavalerie, — raréfaction augmen- tée par les récents achats en chevaux de l'Allemagne, — est une des préoccupations du ministère de la Guerre. Au jour de la mobilisation, les Decauville auraient en particulier ce double rôle :
i° Transporter les matériaux de défense dans les places;
2*" Alléger les convois et transports de l'ar- rière.
C'est à ce titre que nous nous occupons de la nouvelle firme allemande qui a fusionné avec Tan- cienne société Decauville, car, nous n'envisageons dans ces études, que les compromis, industriels ou autres, qui ont un intérêt quant à la Défense Natio-
DANS NOS FORTS DE l'eST 77
nale. Même ainsi délimité, le champ demeure assez vaste et menaçant .
Voici d'abord, d'après V Annuaire des Sociétés par actions en quoi consistait la Société Nouvelle des Eta- blissements Decauville aîné :
Capital: 4 millions de francs divisés en 40,000 actions de 100 francs entièrement libérées. — Obligations : 5,000 de 50O fr., 4 0/0 remboursables de 1898 à 1942.
Durée : 50 ans, du 31 décembre 1894.
Objets : Exploiter les établissements industriels de Corbeil (Seine-et-Oise) connus sous le nom de « Etablis- sements Decauville aîné », ceux du Val-Saint-Lambert, commune de Seraing (Belgique) et ceux de Petite- Synthe, près Dunkerque (Nord), avec la clientèle et l'achalandage y attachés, ainsi que tous brevets, marques de fabrique, immeubles, matériel, marchan- dises, droits de toute nature, etc., en dépendant, le tout provenant de la liquidation de la Société des Établisse- ments Decauville aine; construire du matériel de che- min de fer, dit a chemin de fer Decauville » ou autre; construire tous objets et machines se rattachant au ma- tériel de chemin de fer fixe ou roulant à voie étroite ou normale; construire et vendre rails, locomotives, chau- dières, machines à vapeur, excavateurs.
Voici maintenant un extrait de rapport qui de- mande à être lu avec soin.
Orenstein und Koppel- Arthur Koppe] Aktiengesellschaft, Berlin
Résultats de l'exercice ayant pris Jîn le 31 décembre 1910.
RAPPORT DU CONSEIL D ADMINISTRATION
Les statuts de notre Société devront être modifiés en
78 L* AVANT-GUERRE
vue de la communauté d'intérêts avec la Lûbecker Maschinenbau Gesellschaft, de Lûbeck, et la Société Nouvelle des Etablissements Decauville aîné de Paris, ainsi que de notre participation éventuelle à d'antres entreprises.
Ce qui a donné naissance à cette communauté d'inté- rêts, c'est que les trois établissements se complètent d'une façon tout à fait rationnelle; chacun d'eux aura donc avantage à ce que la concurrence avec les deux autres soit évitée dans la mesure du possible et que tous trois adoptent la même ligne de conduite. Nous vous indiquons ci-après, dans la mesure compatible avec les intérêts de notre Société, les points principaux des accords que nous avons conclus, accords dont la mise à exécution est subordonnée à votre approbation.
L'accord passé avec la Lûbecker Maschinenbau Gesellschaft, etc..
Uaecord que nous avons conclu pour une durée de vingt ans avec la Société Nouvelle des Établissements Decauville aîné doit être soumis à l'assemblée géné- rale de cette Société qui se tient au mois de juin; la con- currence très vive qui régnait entre nous-mêmes et cette firme, qui existe depuis 1853, dans les pays latins et aussi hors d'Europe, devait naturellement, à la longue faire naître le besoin d'un accord entre les deux parties. Par une répartition rationnelle des débouchés, nous avons supprimé les inconvénients de cette concurrence ; en outre, les commandes que la Société Decauville s est engagée à nous faire assurent à nos ateliers une grande activité d'une façon permanente.
Comme le précédent, cet accord n'a pas pour but la hausse des prix de vente; il tend surtout à augmenter la capacité productive des deux contractants et à réduire sensiblement leurs frais généraux.
Pour rendre plus étroite la communauté d'intérêts existant entre les deux Sociétés et pour donner plus de force aux bonnes relations qui les unissent, il a été convenu qu'elles participeraient à tour de rôle aux bénéfices; d'autre part, il sera procédé à un échange d'actions et les deux Sociétés auront des administrateurs communs.
DANS NOS PORTS DE l'eST 79
Société nouvelle des Établissemeuts Decauville aîné.
Assemblée générale extraordinaire du 24 juin 1911
RESOLUTIONS
1" RÉSOLUTION. — L'assemblée générale extraordinaire, après avoir entendu les explications du conseil d'admi- nistration relatives au projet d'un accord à conclure avec Orenstein und Koppel-Arthur Koppel A. -G., approuve les bases dudit projet etdécide en conséquence que, etc..
Si Ton veut connaître les sentiments francophiles de cette société Koppel, avec laquelle ont fusionné les établissements Decauville, on peut savourer ces quelques lignes extraites du numéro du 4 février 1910, du Berliner Morgen Post alors que la France était dévastée par les inondations et que les témoignages de sympathie lui venaient de partout :
Orenstein und Koppel-Arthur Koppel, Berlin.
Nous apprenons, de source bien informée, que la Société Orenstein und Koppel de Paris tirera profit des inondations en France, dont les dégâts s'élèvent à plu- sieurs centaines de millions, parce qu'il y aura un besoin considérable de chemins de fer portatifs et exca- vateurs, pour la restauration des chemins de fer, canaux.
Mais le plus étrange c'est ceci : d'après un rensei- gnement puisé à bonne source, la société Koppel aurait été exclue des fournisseurs de la Marine française à la date du 23 mars 1910*. Charbon allemand, outil-
1. D'un article paru dans V Action Française, le 17 juin
80 l'avant-guerre
lage allemand, c'est complet. Si la guerre éclatait demain entre la France et l'Allemagne, on se demande avec angoisse ce qui se passerait dans des forts
FRANÇAIS DE LA FRONTIERE, ALIMENTÉS EN COMBUSTIBLE
1912, SOUS la signature de notre collaborateur Pierre Dumou- lin, nous extrayons les lignes suivantes :
« Léon Daudet rappelait que cette Société aurait été exclue en 1910 des fournisseurs de la marine. Des renseignements, qui nous parviennent, nous affirment que cette mesure, si elle a été prise, n'était point la première dont ait été frappée la firme Orenstein et Koppel.
En effet, dès 1903, la Société Orenstein et Koppel étant chargée d'importants travaux pour le compte du ministère de la Marine ; on aurait découvert que deux ingénieurs de cette maison étaient des officiers allemands qui mettaient à profit leur présence à Cherbourg et les facilités que leur donnait la conduite des travaux pour se livrer à l'espionnage. On n'au- rait pas ébruité l'affaire, et l'on se serait contenté de recon- duire à la frontière les deux officiers. A la suite de ces faits, le ministre de la Marine, bientôt imité par son collègue de la guerre, aurait exclu de ses soumissions la maison Orenstein et Koppel.
Que firent alors ces industriels? — toujours d'après nos renseignements — une manœuvre pourtant assez grosse pour qu'un gouvernement vigilant ne s'y trompât point. L'un des associés, M. Arthur Koppel, se retira de la maison Orenstein et Koppel, et s'installa, sous son nom, rue de Londres. Un an s'était à peine écoulé que M. Koppel avait retrouvé les faveurs des ministres de la Guerre et de la Marine et leurs plus importantes commandes.
Cela dura jusqu'en 1908, date à laquelle l'interdiction qui pesait sur la maison Orenstein et Koppel fut levée. Arthur Koppel ferma aussitôt ses bureaux de la rue de Londres et reprit sa place dans l'ancienne firme qui fut, de nouveau admise à soumissionner pour les travaux du gouvernement.
Le tour était joué, mais il n'est personne qui ne trouvera étrange le système bénin d'exclusions momentanées dont le gouvernement se sert vis-à-vis d'un groupe reconnu aussi dangereux pour les secrets de notre défense nationale. Et il apparaît bien, d'ailleurs, qu'Orenstein et Koppel utilisent cette mansuétude. Ils ne négligent rien pour s'assurer l'exclu- sivité des constructions de chemins de fer à voie étroite et des travaux s'y rattachant. Ils ont réussi à faire servir à leurs fins la Société Decauville. On dit, maintenant qu'ils tentent
DANS NOS FORTS DE l'eST 81
ALLEMAND PAR DES MARCHANDS DE CHARBON ALLEMANDS ET MUNIS EXCLUSIVEMENT DE LOCOMOTIVES DE TYPE ALLEMAND, EXÉCUTÉES, LIVRÉES, REPAREES PAR DES CONSTRUCTEURS ALLEMANDS.
d'acquérir une des rares compagnies qui puissent leur faire concurrence et dont le siège est en Bourgogne.
Cette dernière opération, si elle réussit, nous met, pour les travaux ci-dessus indiqués, comme pour les travaux de ter- rassement, dans les ports et près des forts, à la merci d'une compagnie allemande déjà soupçonnée — pour ne pas dire plus, — de faits d'espionnage. »
CHAPITRE II
NOTRE AÉRONAUTIQUE
EST TRIBUTAIRE DE L'ALLEMAGNE POUR
LA FOURNITURE DE L'HYDROGÈNE
DE NOS DIRIGEABLES ET CELLE DES APPAREILS
DE TÉLÉGRAPHIE SANS FIL
DE NOS AÉROPLANES
DIRIGEABLES
La tactique de l'air est à Tordre du jour. Il semble prématuré de discuter les avantages respectifs des dirigeables et des aéroplanes en temps de guerre. Dans le doute, qui tient au manque de preuves directes, il est clair que le gouvernement allemand a intérêt à suivre de très près nos progrès dans Tune et l'autre fabrication et à se ménager — du côté des dirigea- bles, comme du côté des aéroplanes — des possibilités d'intervention, de mainmise, soit par sabotage n" 1, soit par sabotage direct.
Il existe, à quelques kilomètres de Compiègne, une usine allemande de produits chimiques, qui prend en
NOTRE AÉRONAUTIQUE 83
ce moment, comme d'ailleurs la plupart de ses simi- laires, un développement considérable. L'Allemagne a, depuis quelques années, monopolisé, en quelque sorte, le commerce de la droguerie et des spécialités pharmaceutiques à la mode. Elle inonde le monde de ses poisons. La liste complète de ceux-ci tiendrait des pages et des pages. L'Allemagne est, d'ailleurs, le pays par excellence de l'intoxication chronique, et l'on ne connaît pas encore en France, Dieu merci, comme au delà du Rhin, des villages entiers de mor- phinomanes ! L'intoxication chronique offre cet avan- tage — purement commercial — de faire à la fois la fortune des droguistes, qui vendent le poison, et des sanatoria, où on en déshabitue les malades. Mais ceci est un autre sujet qui mériterait une étude de fond.
Donc, et pour en revenir aux environs de Compiè- gne, cette usine allemande emploie un personnel de fabrication entièrement allemand. Seuls, les manœu- vres sont du pays. Elle est dirigée par un Hollandais M. Vis. Elle est la propriété d'une Société anonyme dite Société industrielle des Produits chimiques, dont le siège social est 10, rue de Vienne, à Paris.
Si j'ouvre V Annuaire des Sociétés par Actions, je vois que cette Société industrielle des Produits chi- miques a été fondée au capital social de deux mil- lions cinq cent mille francs, divisés en 2.5U0 actions de 1.000 francs, entièrement libérées. Les titres sont au porteur et non cotés. La durée est de 50 ans, depuis 1896. Elle a pour objet :
La création d'une ou de plusieurs fabriques de produits chimiques, soit en France, soit à l'étranger ; prise ou cession d'intérêt dans d'autres sociétés ; l'acquisition, l'exploitation de tous procédés de fabrication, brevets
84 l'avant-guerre
et licences ; l'acquisition de tous terrains et immeubles ; le commerce, la vente et l'achat de tous produits et tous brevets, procédés et appareils relatifs à leur fabrication et à leur emploi.
Le conseil d'administration était récemment en- core ainsi composé : Mem^bres : MM. H. de Glenck, J. Stroof, E. de Bondelli, J.-C. Ertel, Ch. Kœchlin, H. Oswald, Th. Plieninger, Ch. Schlumberger, Vis- cher.
L'usine fabrique, entre autres, énormément de dérivés chlorés. Dernièrement, elle s'est mise à la fabrication du chloroforme et elle approvisionne ac- tuellement de ce produit les principales drogueries parisiennes. Elle est située dans la commune de La Motte-Breuil, dans une position stratégique, à l'en- trée de la forêt de Compiègne et presque au confluent de l'Oise et de l'Aisne. Elle est gardée comme une forteresse. Personne ne peut y pénétrer, et on ne délivre même jamais aucune autorisation aux personnes étrangères aux services. Nous avons déjà eu l'occasion de remarquer, à propos des Grands Moulins de Corbeil, dits « Petite Prusse », que c'est là une coutume constante des installations allemandes en territoire français. Alors que nos administrations, usines, maisons de commerce sont ouvertes à tout venant, les Allemands campés en France, avec l'auto- risation et la protection du gouvernement français, verrouillent jalousement portes et fenêtres. Ils se bar- ricadent.
Sachez maintenant qu'à La Motte-Breuil, plusieurs de nos dirigeables sont construits et font leurs essais. Le parc aérostatique est contigu à l'usine allemande. Celle-ci produit, comme déchet, d'immenses quanti- tés d'hydrogène. Elle avait fait récemment, soit à
NOTRE AÉRONAUTIQUE 85
Clément-Bayard, soit à l'Etat, des offres exceptionnel- lement avantageuses pour la fourniture de l'hydro- gène destiné au gonflement de nos dirigeables. Ces OFFRES ONT ÉTÉ ACCEPTÉES. Quoi de plus tentant, en effet, que de s'approvisionner à bon marché et à sa porte même ? Vous retrouverez ici l'ingéniosité, la présence perpétuelle et l'opportunité du fournisseur allemand..., qualités réelles, mais auxquelles il est imprudent de se livrer.
Quand nos dirigeables rentrent au parc, après une sortie, et quand l'opération est un peu difficile, on voit, spectacle touchant, les ouvriers allemands de l'usine allemande prêter leur concours à nos sapeurs du génie, pour la réintégration des ballons au bercail ! La situation est donc la suivante : Nos dirigeables
MILITAIRES SONT CONSTRUITS A La MoTTE-BrEUIL, A DEUX PAS d'une fabrique DE PRODUITS CHIMIQUES ALLE- MANDE. C'est elle qui les fournit d'hydro(}ène. Les Allemands connaissent a fond toutes les instal- lations DU parc aérostatique *.
Je laisse à mon lecteur le soin de tirer de cette constatation les conséquences qu'elle comporté, non seulement en temps de mobilisation, mais encore en
1. Cette usine ne fournit pas seulement d'hydrogène le parc aérostatique de La Motte-Breuil.
Exemple : Maubeuge est devenu, depuis quelques mois, un centre très important d'aéronautique. Un dirigeable, leDupuy- de-Lôme, et huit aéroplanes garnissent son parc aérostatique. Or, le Dupuy-de-Lôme est alimenté en hydrogène par nos vieilles connaissances de l'usine de La Motte-Breuil, succursale de rElektron-Chemische de Griesheim-Bitterfeld. Cet hydrogène arrive ici en tubes et il est incontestable que l'usine de La Motte-Breuil, chargée officiellement de cette fourniture, demeure en mesure de saboter, à distance et a son heure, le dirigeable de Maubeuge, comme il lui serait facile, au mo- ment de la mobilisation, de saboter ceux de La Motte-Breuil. (Pierre Dumoulin, Action Française du 8 février 1913.)
86 l'avant-guerre
cas de simple crise diplomatique. En outre, le risque d'incendie des hangars et des ballons — même avec les meilleures intentions du monde — n'est pas petit dans le voisinage d'une fabrique de produits chimi- ques. Sans compter le sabotage possible de la fabri- cation de l'hydrogène et de la canalisation qui la complète.
Une fourniture d'hydrogène impur peut en effet détruire complètement un dirigeable. Or la chose se serait produite à La Motte-Breuil où une enveloppe de dirigeable aurait été mise hors d'usage par la faute de l'hydrogène *.
Remarquez que ce scandale de la livraison des dirigeables français à une usine allemande, — sous prétexte d'hydrogène — peut avoir des conséquences désastreuses. Je lis, dans la Technique moderne, une conférence, d'ailleurs fort claire et très bien faite, de M. Camille Matignon, professeur au Collège de France, sous la présidence de M. le général Roques, inspecteur permanent de l'aéronautique militaire. Cette conférence du mercredi 27 décembre 1911 traite De la préparation de Vhydrogène pour les be- soins de Vaéronautique militaire. On y trouve une description des divers procédés, deux cartes de la répartition des usines à hydrogène en France et dans la région parisienne. On y lit les lignes suivantes :
La Société des usines de Giiesheim, près de Franc-
fort-sur-le-Mein, qui, la première, a mis au point un
procédé fonctionnant régulièrement par la préparation
électrolytique de la soude, a commencé, dès 1899, à
I recueillir une partie de son hydrogène.
I 1. M. Vis, directeur de l'usine allemande ne nous a rien répondu quand nous avons publié ce renseignement dans V Action Française.
NOTRE AÉRONAUTIQUE 87
D'après le rapport du professeur Graebe, les usines de Griesheira ont livré aux consommateurs les cubes d'hydrogène suivants :
1899 12.200 met. c.
1900 50.000 --
1901 70.000 —
1902 100.000 —
1903 125.200 —
1904 145.800 —
1905 185.200 —
1906 157.200 —
1907 242.400 —
1908 311.000 —
1909 610.000 —
Et un peu plus loin :
En France, la Société industrielle des produits chi- miques, qui exploite, depuis longtemps, à La Motte- Breuil, dans TOise, les procédés de Griesheim, s'est préoccupée, en 1910, de faire les installations néces- saires pour recueillir tout ou partie du million de mètres cubes d'hydrogène qu'elle produit annuellement.
L'hydrogène, capté dans un réseau de tuyauterie, subit une épuration avant de se rendre au gazomètre de 1.500 mètres cubes. Un ventilateur chasse l'hydrogène du gazomètre et le conduit dii-ectement dans la manche du ballon.
Une autre partie de l'hydrogène est comprimée à 150 atmosphères, dans des tubes contenant 7 mètres cubes. Par son usine génératrice de gaz léger, La Motte-Breuil est appelé à devenir un véritable port aéronautique où pourront se faire au robinet des gon- flements faciles et rapides et où des wagons, chargés de bouteilles d'hydrogène comprimé, attendront l'ordre de départ pour s'en aller assurer le ravitaillement. M. Clé- ment a déjà fait construire, à 700 mètres de l'usine, un liangar aux dimensions imposantes, qui peut abriter deux de ses grands dirigeables de 7.000 à 8.000 mètres cubes et qui est alimenté en hydrogène par une con-^ duite souterraine venant directement de l'usine.
88 l'avant-guerre
Voilà qui est gai ! Pour que la fête fût complète, il faudrait que les wagons chargés de bouteilles d'hy- drogène fussent fournis par la société allemande Orenstein et Koppel (ex-société Decauville).
Si, au jour de la mobilisation, ces chemins de fer ne fonctionnaient pas, si la conduite souterraine était bouchée, si l'hydrogène impur détruisait les enveloppes des dirigeables, M. Clément et le général Roques s'arracheraient les cheveux. Mais il serait trop tard.
Je répète : pourquoi l'aéronautique militaire ne demande-t-elle pas son hydrogène, soit à des sociétés de construction aéronautique sévèrement contrôlées, soit à des usines militaires? Il est fou de mettre une force nouvelle comme celle-là aux mains de l'en- nemi, à la disposition de l'ennemi. Cela est aussi fou que d'accepter comme combustible, dans les forts de la frontière, du charbon allemand livré par des firmes allemandes * .
1. Pendant ce temps, on lit dans le Matin, à propos de la première sortie du dirigeable monstre L-/, à Friedrichshafen :
L'ÉQUIPAGE EST COMPOSÉ DE MARINS FORMÉS AU SERVICE DES DIRIGEABLES.
Le SECRET LE PLUS ABSOLU EST GARDÉ AU SUJET DE l'aR- MEMENT DU BALLON. On SAIT SEULEMENT QU'iL POSSÈDE UNE MITRAILLEUSE.
Le secret de nos dirigeables, hélas ! est certainement moins bien gardé au parc de La Motte-Breuil, où l'hydrogène de nos ballons est fourni par la Société Industrielle des Produits Chimiques, simple succursale de la Griesheim-Elektron.
D'un CÔTÉ, DU côté allemand, secret absolu.
De l'autre, du côté français, proximité du parc de
DIRIGEABLES ET DK l'USINE ALLEMANDE. CANALISATION d'hY- DROGÈNE ALLEMAND. PROMISCUITÉ DU PERSONNEL ALLEMAND
DE LA Société Industrielle et du personnel français d'aérostation militaire.
Quel contraste, quel scandale ! Quel Français patriote ne serait frappé de stupeur et d'indignation!
NOTRE AÉRONAUTIQUE 89
LA PRESSE REPUBLICAINE AU SECOURS DE L*USINE ALLEMANDE DE LA MOTTE-BREUIL
Les révélations précédentes sur le parc aérosta- tique de La Motte-Breuil et l'usine de produits chi- miques allemande, sa voisine, qui fournit nos diri- geables d'hydrogène, ont paru dans plusieurs numé- ros de V Action Française quotidienne du mois de janvier 1912.
Elles ont ému la presse républicaine de l'Oise, moins prudente que celle de Corbeil qui n'a pas osé souffler mot, à ma connaissance, de notre étude sur Lucien Baumann et ses Grands Moulins de Corbeil dits « Petite Prusse ».
Les principaux journaux de la région dont dépend La Motte-Breuil sont : notre excellent et vaillant con- frère le Réveil de VOise, organe royaliste, donc natio- naliste intégral, et qui combat avec nous l'espion- nage juif-allemand; la Dépêche de VOisCy organe de l'ex-député Butin, lequel défend éperdument la très suspecte installation de La Motte-Breuil et le Hollandais Vis, directeur de la Société chimique Elektron de Griesheim Bitterfeld ; la Gazette de l'Oise, organe républicain, lequel, plus habilement, d'un ton quasi officieux et en prétextant l'intérêt régional (!), se porte aussi au secours des fournis- seurs allemands d'un hydrogène destiné à des diri- geables français; enfin, le Progrès de l'Oise ^,
1. 11 convient de citer ici une note comique du Progrès de l'Oise (numéro du dimanche 24 novembre 1912). Ce journal est de ceux qui prirent, au début, contre moi la défense de la maison allemande, jusqu'au moment où les preuves accumu-
90 l'avanï-guerre
organe libéral. Il est intéressant de voir l'intérêt allemand ainsi soutenu et représenté par deux journaux du régime que Bismarck implanta chez nous.
La Dépêche de VOise déclare qu'elle a pour M. Vis, directeur de cette usine, « une particulière estime », ce qui n'a rien à voir avec la question. Elle ajoute que les habitants de La Motte-Breuil sont très con- tents de cette usine, point de vue électoral qui prouve simplement leur manque de renseignements ou de clairvoyance. Nous sommes là pour leur ouvrir les yeux. Elle conclut :
Tout cela ce n'est que propos enfantins. L'Usine de La Motte-Breuil n'est pas plus allemande que bien
lées du péril qu'elle faisait courir à nos dirigeables fermèrent la bouche à ce bon républicain. Savourez-moi ça :
« Trosly-Breuil. — Une nouvelle école. — M. Vis, direc- « teur de l'usine de produits chimiques de La Motte, vient de « mettre gracieusement à la disposition de la commune de « Trosly-Breuil, pour y installer une nouvelle école de gar- ce çons, un local spacieux qu'il a fait aménager et (^ui com- « prend un beau matériel scolaire.
« M. Vis a, en outre, pris à sa charge le traitement du « maître que l'administration académique a désigné.
« De son côté, M""" Vis a tenu à offrir un mobilier personnel « pour l'instituteur.
« Cette nouvelle école a été inaugurée lundi dernier, dans « l'intimité, par M. Deciry, maire de Trosly-Breuil, et M. Co- « chet, le sympathique inspecteur primaire de Compiègne. »
Non seulement l'usine de La Motte-Breuil fournit de l'hy- drogène à nos dirigeables. Elle fournit encore du mobilier à nos instituteurs 1 Timeo Germanos et doua fer entes. Si le Progrès de VOise m'objecte que M. Vis est Hollandais, je lui réphquerai tout aussitôt qu'il agit pour le compte des Alle- mands et que son usine n'est qu'une succursale de I'Elektron de Griesheim Bitterfeld^ en relations étroites avec l'usine Merck, installée comme par hasard au Pont de Moscou à Montereau.. Qu'est-ce que M. Merck et madame vont bien offrir aux instituteurs de Montereau ?J
NOTRE AÉRONAUTIQUE 91
d'autres et elle a fait entrer dans la région de jolies sommes dont les Français profitent.
A cette affirmation d'un patriotisme bien républi- cain, nous répondrons simplement ceci ; l'usine alle- mande DE La Motte-Breuil n'est qu'une succursale DE l'usine Elektron a Griesheim-Bitterfeld, la- quelle APPROVISIONNE EN HYDROGENE LES DIRIGEABLES
allemands. Le chef de l'usine de Griesheim-Bitterfeld est membre lui-même du conseil d'administration de l'usine de La Motte-Breuil, laquelle se trouve ainsi — n'en déplaise à la Dépêche de VOise — « plus allemande que beaucoup d'autres ». Quant à M. Vis, directeur de l'usine de La Motte-Breuil, il est en effet, Hollandais, mais son entourage immédiat est alle- mand. On m'affirme — je n'en ai pas confirmation — qu'il a été longtemps professeur en Allemagne. Le directeur qui a précédé M. Vis se nommait Pistor et était Allemand. Il est fréquent que l'Allemand em- ploie comme pionniers, à la tête de ses succursales en pays étrangers, en France notamment, des Hol- landais ou des Belges.
Mais la note rectificative ou prétendue telle la plus importante, et d'un tour quasi officieux, a paru dans la républicaine Gazette de VOise — propriétaire-direc- teur G. Bourson. M. G. Bourson serait en même temps imprimeur et aurait comme client M. Vis, directeur de l'usine allemande, ce qui expliquerait l'abondance et la rapidité de sa défense de ladite usine. Voici donc le morceau qui a paru dans la Gazette de VOise du 18 janvier, le lendemain même de mon article et à la suite de sa reproduction :
Cet article appelle plusieurs rectifications. Tout d'abord, M. Vis, l'honorable directeur de l'usine, n'est
92 l'avant-guerre
pas allemand, mais hollandais, et il professe pour notre pays la sympathie la plus vive.
Parmi les ingénieurs, il est évidemment des Alle- mands, mais il est aussi et surtout des Suisses.
Si l'élément français n'est pas représenté comme il le devrait dans cet état-major, la faute n'en est nulle- ment à la société, mais bien à l'insuffisance de nos écoles de chimie industrielle. La chimie, il ne faut pas l'oublier en effet, est surtout une science allemande et en fait les ingénieurs de La Motte-Breuil sont de véri- tables savants, des chercheurs, tels qu'on en trouve en France, seulement dans nos laboratoires de Faculté. Les savants chez nous dédaigneraient d'ailleurs de faire de l'industrie. Bien à tort, du reste.
M. Bourson me permettra de lui faire remarquer que ce ton dédaigneux à l'endroit de la science chi- mique française et des chimistes français est, dans un journal français, tout à fait extravagant. La note serait rédigée par un chauvin allemand, ignorant les noms de Lavoisier, Berthelot et autres, qu'elle ne serait pas différente, ni plus comiquement inexacte et hautaine. Mais continuons :
Pour ne citer qu'un exemple, l'actuel directeur, M. Vis, a fait notamment de véritables découvertes eu ce qui concerne la production des rubis artificiels et c'est lui également qui a trouvé le moyen de capter l'hydrogène entièrement et gratuitement perdu jus- qu'alors.
La Gazette de VOise n'a évidemment jamais en- tendu parler du Français Moisan, qui s'est occupé, lui aussi^ quelque peu du rubis artificiel.
Cet hydrogène, ainsi récupéré, peut évidemment être livré à très bas pris, puisque auparavant il était absolu- ment inutilisé. Voilà toute l'explication des offres de la société. Il n'y a là aucun machiavélisme.
NOTRE AÉRONAUTIQUE 93
Qui a parlé jamais de machiavélisme? J'ai dit et je répète que le voisinage immédiat d'une usine de produits chimiques et d'un parc d'aérostation est un danger permanent d'incendie, que la connaissance, par les Allemands, de toutes les installations d'un parc aérostatique français est un danger d'autre sorte, que l'approvisionnement de ballons français en hydrogène fourni par des Allemands, par une usine allemande, expose la Défense Nationale aux pires sabotages. La question d'économie, quand il y va du salut du pays, est dérisoire. C'est ce même prétexte d'économie qui fait approvisionner en char- bon allemand nos forts de la région de l'Est, qui les expose ainsi au désarmement par l'extinction des feux, dès les premières heures de la mobilisation. Je comprends fort bien que les Allemands l'allèguent, ce prétexte d'économie, car il fait partie de leur sys- tème d'invasion industrielle, commerciale et d'espion- nage. Mais que des Français s'y laissent prendre, voilà ce qui me demeure incompréhensible.
D'ailleurs, si les chimistes sont étrangers pour la plupart, il n'en est pas de même des autres employés et l'on y compte notamment un certain nombre d'an- ciens fonctionnaires des contributions indirectes.
Quant au Conseil d'administration, que M. Daudet ne se trompe pas aux sonorités étrangères, il comprend d'excellents Français incapables de prêter la main à une œuvre antipatriotique. Certes, il est en majorité cosmopolite, mais dans des consortiums semblables n'est-ce pas la régie? N'est-ce pas l'internationale des capitaux qui ne voit que des affaires et se préoccupe peu des frontières?
]J Action Française a trop souvent mené campagne contre les capitaux français qui font vivre les Alle- mands pour ne pas se louer de voir des capitaux alle- mands faire vivre des Français.
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Car les Français sont extrêmement nombreux à La Motte-Breuil, Loin de faire venir de la main-d'œuvre étrangère, on emploie tous les ouvriers disponibles du pays et même, à ce point de vue, l'usine est un élé- ment très appréciable de la prospérité de la région. Ajoutons que les ouvriers de l'usine sont fort bien traités et que M. Vis et ses collaborateurs ont pour eux les plus grands égards.
M. Vis et ses collaborateurs sont en vérité bien bons. Il ne leur manquerait plus que d'empoisonner ou de manœuvrer à l'allemande leurs ouvriers fran- çais I Maintenant la Gazette de VOise pourrait-elle m'affirmer que l'Etat-Major scientifique de La Motte-Breuil ne compte pas d'officiers de réserve de l'armée allemande? Puisqu'elle veut bien servir d'intermédiaire entre moi et l'usine allemande, ce point serait intéressant à élucider. Par ailleurs, je poserai à mon confrère de l'Oise cette simple ques- tion : une usine française pourrait-elle obtenir en Allemagne une situation semblable à celle de La Motte-Breuil? L'Allemagne permettrait-elle une pa- reille installation française à cent mètres des han- gars de ses Zeppelin et en contact avec les soldats allemands chargés de la manœuvre?
Enfin la question de la difficulté des visites à l'usine allemande — comme aux Grands Moulins de Corbeil — et du secret allemand bien gardé, a visi- blement ennuyé et embarrassé l'auteur de la note de la Gazette de VOise. Écoutez-le plutôt:
Quant aux visites, il n'y a rien là que de très naturel. Toutes les maisons semblables en font autant. Il y a des secrets de fabrication qu'on ne livre pas aux premiers venus. D'ailleurs, en fait, l'usine est beaucoup moins défendue que ne le prétend notre confrère et, à notre connaissance, un certain nombre de personnalités, dont
NOTRE AÉRONAUTIQUE 95
l'une au moins très compétente, y ont été admises. Nous nous en tiendrons là, ne connaissant ni le direct- teur, ni les administrateurs de la société, nous n'avons pas qualité pour présenter leur défense. Nous avons simplement voulu mettre les choses au point et rassurer le public que le pessimisme de M. Léon Daudet pour- rait à bon droit effrayer.
Tout cela est très gentil, très bien intentionné à l'égard des Allemands, bien qu'un peu faible comme argumentation. Il est seulement fâcheux que le parc d'aérostation ne soit pas aussi bien gardé vis-à-vis du personnel de l'usine allemande, que celle-ci est bien gardée vis-à-vis des visiteurs indiscrets.
La Gazette de VOise admettra, sans doute, que le secret de l'aérostation militaire française vaut le se- cret de la chimie allemande I
Autre point de vue, moins important, mais qui démontre, une fois de plus, les complaisances de la République pour l'Étranger campé chez nous : fré- quemment, depuis plusieurs années, on eut l'occa- sion de constater que la rivière d'Aisne, dans la vallée de laquelle est située l'usine allemande, était infectée par les déversements résiduaires des produits chimi- ques. Les poissons empoisonnés flottaient et flottent ventre en l'air. La Société des pêcheurs à la ligne de Compiègne fit faire des prélèvements et procéda à des analyses. La ville de Compiègne elle-même — qui s'alimente, en aval du confluent de l'Aisne et de l'Oise, en eau de consommation — s'émut et intervint auprès de l'administration compétente, Ponts et Chaussées, Ministère de l'Agriculture. Ces plaintes légitimes n'eu- rent aucun résultat. Cela, alors que des sucreries sont inquiétées à tout bout de champ dès que les circons- tances les obligent, contre leur volonté, à envoyer
96 l'avant-ouerre
parfois des eaux résiduaires beaucoup moins nocives dans des cours d'eau sans importance , tels que TAronde, le Matz ou le Marquais.
Des influences discrètes, mais certaines, veille- raient-elles donc sur l'usine allemande de La Motte- Breuil et sur son directeur?
La Dépêche de l'Oise et la Gazette de VOise étaient réellement bien imprudentes de se porter ainsi au secours de l'usine allemande. En effet, lors des pre- miers essais des dirigeables, à La Motte-Breuil, l'entrée du hangar fut sévèrement refusée à deux officiers de dragons d'un régiment voisin. Le même jour, le Hollandais Vis, pouvait, avec des amis étrangers, visiter le hangar à sa convenance et étu- dier le navire aérien dans lequel il est d'ailleurs monté plus tard.
Qu'en pense l'ex-député radical Butin, lequel est, m'affirme-t-on, dans les meilleurs termes avec cette usine de La Motte-Breuil que la Dépêche de VOise déclarait a n'être pas plus allemande que beaucoup d'autres »?
Edifions maintenant l'ex-député Butin sur ses amis de La Motte-Breuil.
J'ai dit qu'elle n'était, cette usine destinée au gon- flement des dirigeables français, qu'une succursale de la Che'Ufiische Fabrik Elektron, laquelle a dans ses attributions, à Bitterfeld, le gonflement des diri- geables allemands. On sait que, dans l'éventualité de la guerre prochaine, l'Allemagne attache plus d'im- portance aux dirigeables qu'aux aéroplanes. Elle les assimile volontiers aux cuirassés et compare les aéroplanes aux torpilleurs ce qui semble, d'ailleurs, une image inexacte et forcée.
Quoi qu'il en soit, je vous présente Herr Doctor
NOTRE AÉRONAUTIQUE 97
Ignatz Stroof, vice-président de la Société de pro- duits chimiques de La Motte-Breuil, dont le siège social est 10, rue de Vienne, à Paris. Ledoctor Ignatz Stroof est également vice-président de la Chemische Fabrik Griesheim Elektron et de plusieurs autres sociétés à Duisbourg et à Berlin, dont l'énumération serait fastidieuse.
M. J.-C- Ertel, de l'usine de La Motte-Breuil, est lui aussi, un gros personnage industriel allemand, propriétaire-gérant de la firme Ertel Bieber und C^ des usines de cuivre de Hambourg, de la Vereinsbank de Hambourg, vice-président de la Metallurgische Ge- sellschaft de Francfort, etc., etc., et, enfin, admi- nistrateur de notre Chemische Fabrik Griesheùn Elek- tron.
M. Th. Plieniger, de l'usine de La Motte-Breuil, est vice-président des Duisbûrger Kupferhûtte de Duis- bourg, administrateur de la Société électrochimique de Flix, et enfin, directeur général de la Griesheim Elektron.
Vous me direz que les résidus d'hydrogène de si importants personnages ne sont pas à dédaigner et que nos dirigeables français ont de la veine d'être gonflés par eux. Je vous répondrai qu'en cas de mo- bilisation, la garantie n'en serait pas moins des plus médiocres, et je rappelle ici la phrase prodigieuse de la Gazette de VOise (propriétaire-directeur, G. Bour- son), qui écrit froidement:
« Quant au conseil d'administration, que M. Daudet « ne se trompe pas aux sonorités étrangères, il « comprend d'excellents Français incapables de prê- « ter la main à une œuvre antipatriotique. »
Si ces lignes tombent sous les yeux de MM. Ignatz Stroof, J.-C. Ertel, Th. Plieninger, H. Oswald, ou
4
98 l'avant-ouerre
Schlumberger Viescher, je crains positivement qu'ils
ne crèvent de rire , tout comme un dirigeable
français gonflé d'hydrogène allemand, le jour de la déclaration de guerre.
Les fameuses rectifications de M. G. B ourson, de la Gazette de VOise étaient donc ainsi réfutées une première fois dans l'Achon Française du 31 janvier 1912.
M. G. Bourson ne se tint pourtant pas pour battu et voici l'apologie de La Motte-Breuil telle qu'elle fut présentée alors par le germanophile directeur de la Gazette de VOise :
M. Léon Daudet, rédacteur en chef de VAction Française, revient aujourd'hui dans son journal sur la question de l'usine de La Motte-Breuil et consacre la majeure partie de son leader article à la réfutation de nos arguments.
M. Léon Daudet nous accuse notamment d'avoir calomnié la science française en prétendant que l'Alle- magne nous est malheureusement supérieure dans le domaine pratique de la chimie industrielle.
Cela n'est, hélas! que trop exact. En chimie comme dans trop de sciences, d'ailleurs, les découvertes initiales sont généralement dues aux Français mais l'application en est, non moins généralement, laissée aux étrangers. Ce n'est pas manquer de patriotisme que de constater ce défaut, exagération d'une belle qualité de désinté- ressement, et il vaudrait mieux tâcher d'y remédier que de le nier, puérilement.
La Gazette de VOise ne disait plus que « la chimie, il ne faut pas l'oubher, en effet, est surtout une science allemande. » Elle s'était, sans doute, mieux renseignée sur le rôle plus que modeste de M. Vis en ce qui concerne la production du rubis artificiel et la captation de l'hydrogène. M. Bourson n'a qu'à
NOTRE AÉRONAUTIQUE 99
aller faire un tour dans le laboratoire du professeur Verneuil, savant français, aux Arts et Métiers. Il sera édifié sur le véritable auteur des découvertes quant aux pierres de synthèse. Il verra ensuite où est la « puérilité » des arguments. La Gazette de VOise continuait :
Ceci dit et une fois réglé, nous ferons remarquer à M. Léon Daudet que la fabrique de produits chimiques n'est pas venue se placer près du parc aérostatique. C'est le parc qui s'est installé auprès de l'usine, et celle-ci ne saurait évidemment être rendue responsable d'un état de choses qu'elle n'a pas créé.
Ce parc n'est pas surveillé ! s'écrie notre confrère. En admettant même la vérité de cette assertion, il faudrait s'en prendre à la station aérostatique, l'usine n'a rien à voir là-dedans.
En une phrase toute fleurie de conditionnels, M. Daudet insinue ensuite, sans l'affirmer d'ailleurs, que l'usine est une filiale de celle qui en Allemagne fournit d'hydro- gène les ballons allemands.
Nous ne renseignerons pas M, Daudet sur ce point, que nous ignorons autant que lui, mais nous pouvons affirmer en tout cas, que la liste des chimistes et ouvriers qui seraient, en cas de guerre, « utilisés » a La Motte-Breuil, a la fabrication de l'hydrogène est
DÉPOSÉE au ministère DE LA GUERRE ET QUE CETTE LISTE NE COMPREND PAS d'AlLEMANDS^.
1. A propos de cette déclaration si curieuse de la Gazette de l'Oise, nous avons reçu la lettre suivante qui émane de quel- qu'un de bien renseigné :
« Votre adversaire a répondu une sottise. Toutes les usines françaises dont les produits intéressent la défense nationale doivent remettre chaque année, au ministère de la Guerre, une liste de la partie de leur personnel français qui serait nécessaire en temps de guerre pour la fabrication, et qui, comme telle, doit être soustraite à la mobilisation. Cette liste, étant donné son but, ne doit donc contenir que des noms de Français. Si l'usine, en cas de guerre, doit marcher avec dix
100 l'avant-guerre
Sur le premier point, priorité de l'installation, je réponds qu'une enquête serait nécessaire, — à vous, Jacques Grumbach ! — afin de déterminer dans quelles conditions s'est produite la remarquable coïncidence de La Motte-Breuil, — parc aérostatique contigu à l'usine de produits chimiques, — coïncidence calquée sur celle de Griesheim Bitterfeld. Avec cette différence toutefois qu'à Bitterfeld, l'hydrogène allemand gonfle des ballons allemands, au lieu qu'à La Motte-Breuil, l'hydrogène allemand gonfle les ballons français. Il y a là un de ces hasards, heureux pour l'Allemagne, malheureux pour la France, dont une recherche approfondie dans les dossiers du ministère de la Guerre donnerait, sans doute, la clé . Si nous avions encore un Bureau des Renseignements, j'aurais plus de con- fiance dans son activité, je l'avoue, que dans celle du juif qui a nom Jacques Grumbach.
A défaut de ce bureau de renseignements qui n'au- rait du reste peut-être pas toute liberté de la Répu- blique pour pousser par trop loin ses investigations, nous poserons la grave question suivante :
Qui donc s'est entremis pour préconiser et favoriser cette installation du parc aérostatique, si préjudiciable
Français et trois cents Allemands, les noms des dix Français à ne pas mobiliser doivent être remis au ministère de la Guerre; mais cela n'empêchera aucunement les trois cents Allemands d'être employés à l'usine pendant la guerre. «
La Gazette de VOise nous faisait donc une objection absurde, soit que celle-ci vînt de son cru, soit qu'elle lui eût été soufflée par un des étrangers de l'usine, M. Vis ou un autre, ainsi que la faute de français grossière utilisés au lieu d'EMPLOYÉs semble l'indiquer.
Il est admirable que cette formalité administrattve serve d'argument aux Allemands et aux défenseurs des Allemands. On peut apprécier ainsi le degré de cynisme des uns et des autres.
NOTRE AÉRONAUTIQUE 101
aux intérêts de notre défense nationale ? Qui donc a fait les démarches ? Qui donc a poursuivi de sollici- tations, au ministère de la Guerre et ailleurs, ceux dont dépendait une aussi criminelle décision ? En d'autres termes, quels sont, dans cette région, les mystérieux protecteurs de M. Vis et de ses Allemands, qui donc écarte soigneusement les cailloux, les pannes et les accidents d'automobile sur la voie triomphale qui mène la firme Griesheim Elektron de Bitterfeld à La Motte- Breuil, en passant par notre Défense Nationale ?
Quant à mes insinuations et à mes conditionnels, la Gazette de VOise doit être fixée aujourd'hui. A moins de publier les portraits et biographies com- plètes des Allemands qui administrent conjointe-, ment La Motte-Breuil et Griesheim Bitterfeld, je ne sais pas quelles précisions de plus j'aurais bien pu lui offrir.
Résumons-nous : il y a, à La Motte-Breuil près Compiègne, une fabrique allemande de produits chimiques, dirigée par un Hollandais du nom de Vis, laquelle n'est que la succursale de la Chemische Fabrik Elektron de Griesheim Bitterfeld.
L'usine de Bitterfeld a dans ses attributions le gonflement des dirigeables allemands, à l'aide du gaz hydrogène résiduaire.
L'usine de La Motte-Breuil a dans ses attributions le gonflement des dirigeables français, à l'aide du gaz hydrogène résiduaire.
En cas de guerre, plusieurs de nos dirigeables seraient à la merci de l'Allemagne, g;râce à cette com- binaison très simple qui remet à nos ennemis alle- mands le soin de les gonfler. Je dis à leur merci : soit par privation d'hydrogène {sabotage n° ^), soit
102 l'avant-guerre
par corruption du même hydrogène {sabotage n" !<?). Il ne faudrait peut-être pas trop compter sur le petit personnel italien de cette fabrique allemande pour contrecarrer les volontés et les ordres d'en haut.
Qu'en pense M. Edouard Herriot, maire de Lyon, qui écrivait il y a quelque temps, dans le Journal des Letellier, un pressant article sur « notre flotte aérienne » ?
Mais on m'affirme que les mêmes mystérieux pro- tecteurs solliciteraient actuellement sur les instances du Hollandais M. ViSy pour la prochaine adjonction au parc des ballons d'une station d'aéroplanes ! Ainsi, quand le savant chimiste, le Doctor W..., officier de réserve, m'assure-t-on, dans l'armée allemande, vien- drait à La Motte-Breuil, il aurait le plaisir d'assister à la fois à des expériences de dirigeables et à de expériences d'aéroplanes.
Je demanderai à M. Edouard Herriot, maire de Lyon, auteur de l'article précité, si c'est ça qu'il appelle placer les centres d'instruction aéronautique à proximité des grands centres mi/i^aiVes ? L'installa- tion, à La Motte-Breuil de la Griesheim Elektron de MM. Stroof, J.-C. Ertel, Plieninger et Cie peut être, en effet, considérée comme un grand centre chimico- militaire allemand.
AEROPLANES
Nos aéroplanes du moins échappent-ils à l'ingé- rence étrangère?
S'ils y ont échappé au début, il semble bien que cette situation soit appelée sous peu à se modifier.
Par des moyens détournés, l'Allemagne s'efforce
NOTRE AÉRONAUTIQUE 103
de prendre position dans cette nouvelle et importante branche de notre industrie militaire.
Cette question a fait l'objet d'un article de notre col- laborateur Pierre Dumoulin, dans V Action Française du 30 septembre 1912.
On sait quelles espérances on fonde, en France, d'une manière peut-être exagérée, dans l'état actuel de la science, sur le rôle que nos aéroplanes seraient appelés à jouer en cas de guerre.
Il n'est pas contestable que cette nouvelle arme doive donner le maximum de résultats pratiques que l'on peut attendre d'un outil encore fort impar- fait surtout grâce à la surprenante habileté profes- sionnelle de nos aviateurs tant civils que militaires.
Telle quelle, cette arme est appelée à rendre de grands services.
Le principal rôle qui lui est attribué semble être de renseigner les armées sur l'importance, la situa- tion, les mouvements des troupes adverses, rensei- gnements d'autant plus précieux qu'ils seront trans- mis plus rapidement et avec plus de précision par l'officier observateur. Or, si les aéroplanes doivent interrompre leurs randonnées aériennes pour atterrir, ils perdent alors un temps précieux, les conditions atmosphériques n'étant pas toujours favorables ; de plus le mouvement des armées leur échappe momen- tanément. Ainsi apportés dans des conditions défec- tueuses, les résultats de leurs explorations risquent de perdre une grande partie de leur valeur d'utilisa- tion.
En somme nos aviateurs doivent remplir, à l'égard de nos armées un rôle analogue à celui du périscope de nos sous-marins.
On a donc été amené tout naturellement à recourir
104 l'avant-guerre
à cette admirable invention qu'est la télégraphie sans fil et on a cherché à munir nos avions d'appareils facilement trans portables, pouvant se tenir en commu- nication constante avec des postes de T. S. F. situés à terre. C'est à la Compagnie Générale radio-télégra- phique (brevet Lepel) que l'Administration a com- mandé les appareils de nos postes de T. S. F. les plus importants. Or, l'administrateur de la Compagnie Générale radio-télégraphique fait partie du Conseil d'administration de la Compagnie Universelle de télé- phonie sans fil, et l'on raconte qu'il ne cache pas, mais annonce, au contraire, ouvertement son intention de faire absorber la petite compagnie par la grande Compagnie Universelle. De sorte, qu'à la place d'une société en grande partie française, nous allons avoir une société surtout allemande et que c'est elle qui, vraisemblablement, va fournir d'appareils de T. S. F. nos aéroplanes militaires.
Qu'est-ce donc que la Compagnie Générale radio- télégraphique?
C'est un société anonyme à capital assez faible.
Le brevet de télégraphie sans fil qu'elle exploite vient d'Allemagne. L'inventeur est un nomme Lepel.
On a prétendu que cet appareil était assez perfec- tionné pour donner une direction aux ondes liertziennes et, par conséquent, pour empêcher celles-ci d'être captées par un poste voisin ou ennemi.
Prétention erronée, puisque des expériences faites sur les côtes de la Manche ont démontré que cette direc- tion des ondes n'est possible qu'à de petites distances. Et c'est cependant à l'invention de TAllemand Lepel que le gouvernement de la République a donné la préfé- rence et ce sont ses appareils dont on a muni nos postes de la Tour Eiffel, de Bordeaux, d'Ajaccio, de Dakar et de Tanger. Cette préférence est d'autant plus étrange qu'au point de vue de la télégraphie sans fil, la France,
NOTRE AÉRONAUTIQUE 105
patrie du grand Branly, n'est aucunement en retard sur l'Allemagne.
Mais ce n'est pas tout. La Compagnie générale radio- télégraphique possède à Paris, rue des Plantes, un labo- ratoire. La chose, en elle-même, n'est pas extraordi- naire :1a société du Télégraphe Multiplex, possède aussi le sien, rue Henri-Monnier. Seulement, de ce côté, nous sommes bien tranquilles, puisque le chef de laboratoire est un officier français, le même précisément qui com- mande le poste de la Tour Eiffel.
11 n'en est pas de même rue des Plantes. II s'agit là d'un appareil allemand, dont le maniement ou les répa- rations peuvent exiger la présence d'un ingénieur alle- mand. Nous avons vu le cas se produire pour des appareils infiniment moins délicats. Or ce poste, comme tous les postes et, sans aller plus loin, comme ceux que tout ingénieur peut créer dans son grenier, ce poste peut capter des ondes et, par conséquent, saisir des communications.
Voyons maintenant ce qu'est la Compagnie Uni- verselle qui doit — affirme-t-on — absorber la Com- pagnie Générale.
La Compagnie Univer^selle de télégraphie et de té- léphonie sans fil est une société anonyme française au capital de dix millions. Nous allons voir à l'instant de quelle manière imparfaite cette nouvelle compa- gnie est « française ».
Elle a pour but : l'organisation et l'exploitation commerciale de communications radiotélégraphiques à grande distance et notamment des communications transatlantiques par l'emploi de la machine à haute fréquence du système du professeur. Rudolf Gold- schmidt.
Arrivons maintenant au Conseil d'administration de la Compagnie Universelle.
Voici d'abord un technicien, M. Bordelongue, ancien
106 l'avant-guerre
directeur des services télégraphiques au ministère des Postes et Télégraphes, puis M. Paul Dislère, président de section honoraire au Conseil d'État; un savant très honorablement connu, M. d'Arsonval, du Collège de France; M. E.-G. Suis, administrateur en chef des Postes et Télégraphes. Puis trois gros juifs, Lazare Weil- ler, MareelBloehydirecteuvàe la Banque transatlantique, et M. Emile Cohn, de Berlin. Puis, M. Juiius Drueker, industriel à Brûnn (Autriche-Hongrie) ; Robert Held, directeur de la Compagnie Lorenz, de Berlin; et enfin, M. Curt Sobernheim, directeur de la Commerz und Disconto Bank de Berlin. Ce dernier nom est signifi- catif.
La Compagnie Universelle est fondée au capital de dix millions. Or, la Commerz und Disconto Bank de Berlin a souscrit plus de la moitié de ce capital, c'est- à-dire cinq millions et quelques centaines de mille francs. En d'autres termes, elle s'est assuré la haute main sur la Compagnie et c'est ainsi que nous voyons son directeur occuper, dans le conseil d'administration, le fauteuil de vice-président.
Or, pourquoi la Disconto Bank s'est-elle assuré une aussi grande part d'intérêts dans la nouvelle société? Pour les beaux yeux des Français? Je ne le pense pas. Pour gagner de l'argent? Il semble bien qu'une science telle que la télégraphie et la téléphonie sans fil, à Tâge où elle est, soit plutôt utilisée par les gouvernements pour la défense de leur pays, que par les hommes d'af- faires à des fins commerciales.
Me trompé-je beaucoup en affirmant que la Disconto Bank poursuit plutôt une œuvre patriotique qu'une affaire — et, après tout, pourquoi les deux intérêts ne marcheraient-ils pas de pair?
CHAPITRE III
NOS COTONS-POUDRES ET L'ALLEMAGNE
LE MINISTÈRE DE LA GUERRE FRANÇAIS
A ADOPTÉ EXCLUSIVEMENT
UNE HUILE DE GRAISSAGE ALLEMANDE
POUR LE SERVICE AUTOMOBILE
DE L'ARMÉE FRANÇAISE
NOS COTONS-POUDRES ET LES « GEBRUDER MARTIN »
Cette question a fait l'objet d'un article paru dans Y Action Française du 25 décembre 1912 sous la si- gnature de notre collaborateur Alain Mellet.
A la suite des nombreuses déflagrations spontanées qui se produisirent dans nos poudres de guerre on s'est préoccupé de chercher le véritable secret des poudres stables.
Or, il y a quelques mois, un émlnent industriel qui est un remarquable savant et dont le patriotisme est notoire, M. de X..., offrit à notre ministre de la Ma- rine de lui révéler ce secret et de doter notre flotte d'un explosif offrant toutes garanties.
108 l'avant-guerre
Le Laboratoire Central ainsi que tous les appareils qu'il demanda furent mis à sa disposition. Tous les produits indiqués par lui et, notamment, le coton qu'il déclarait nécessaire à ses essais lui furent fournis. M. de X... eut besoin d'un coton déterminé : celui de la société anonyme de blanchiment de Montferrand (Doubs).
Qu'est-ce que la société de Montferrand ?
Nous allons trouver de précieuses indications dans les minutes du greffe du tribunal de commerce de Besançon. En voici un extrait :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE l
N° 343 du Répertoire.
Dépôt du six mai mille neuf cent cinq.
Société anonyme pour le blanchiment du coton, dont le siège est à Montferrand, canton de Boussières (Doubs), au capital de six cent mille francs, divisé en douze cents actions de cinq cents francs chacune, dont neuf cents à souscrire en numéraire et à libérer du quart au moins lors de la souscription.
Liste des souscripteurs et état des versements
effectués.
M. Martin (H.), industriel à Mûlheim-sur-le-Rhin (Allemagne); nombre d'actions souscrites: 250; mon- tant nominal des actions : 125.000 francs; versements effectués : 31.250 francs.
M. Martin (P.), industriel à Mùlheim-sur-le-Rhin (Allemagne); nombre d'actions souscrites : 200; mon- tant nominal des actions : 100.000 francs; versements effectués : 25.000 francs.
M. Martin (G.), industriel à Mûlheim-sur-le-Rhin (Allemagne); nombre d'actions souscrites : 200; mon- tant nominal des actions : 100.000 francs: versements effectués : 25.000 francs.
NOS COTONS-POUDRES ET l'aLLEMAGNE 109
{Ici un certain nombre de souscripteurs français in- dustriels et négociants de la région).
Totaux. — Nombre d'actions souscrites : 900; mon- tant nominal des actions : 450.000 francs; versements effectués : 112.500 francs.
Le présent état est certifié exact et véritable par M. H. Martin, soussigné, fondateur de la Société ano- nyme pour le blanchiment du coton dont le siège est à Montferrand (Doubs).
Besançon, le cinq avril mil neuf cent cinq.
Lu et approuvé :
Signé : H. Martin Pour expédition :
Le Greffier : Guillemard.
Qu'est-ce que ces frères Martin qui figurent pour 325.000 francs sur 450.000 francs dans la liste des souscripteurs?
Leur nom, commun en France, l'est non moins en Allemagne, et, il ne faut pas qu'on s'y trompe : nous avons les preuves absolues que les Martin, les Ge- brûder Martin, de Mill/ieim-sur-Rhin, sont allemands.
Ce sont ces Allemands qui, depuis plusieurs mois, avec la ténacité propre à leur peuple, intriguent sous le couvert d'un nom français pour se rendre indispen- sables dans la fourniture de la matière première de nos poudres. Ce sont ces Allemands qui, installés en pleine France, ont cherché à développer à leur aise une in- dustrie allemande sur un point que sa situation géogra- phique sur le canal du Rhône au Rhin, rend précieux pour eux en cas de guerre, puisqu'il leur serait aussi facile d'approvisionner de là leurs compatriotes alle- mands que l'État français.
Les « Gebrûder Martin » n'en sont d ailleurs pas à leur coup d'essai. Ils reçoivent depuis plusieurs années d'importantes commandes du ministère de la Guerre, puisqu'ils prennent part régulièrement aux adjudica- tions. Mais ils reçoivent aussi les commandes de l'État allemand. Si scandaleux que le fait puisse paraître, il
110 l'avant-guerre
est certain. Il existe, en effet, à Mùlheim une seconde
usine dirigée par les Gebrûder Martin Or, l'usine
allemande soumissionne aux adjudications du minis- tère de la Guerre allemand.
A la suite de ces révélations, M. de X nous
adressa une lettre rectificative dans laquelle il nous déclarait :
1* Qu'il n'avait jamais eu aucun intérêt dans la Société de Montferrand et qu'il n'en avait plus dans la Société de Besançon ; il avait demandé des cotons de Montferrand parce qu'il les connaissait pour en avoir employé en Hongrie. « Il avait, au contraire constamment demandé que le gouvernement français achetât ses cotons en balles d'origine et les blanchît lui-même. »
2® Que les échantillons de pyroxyles de guerre par lui préparées aux Poudres et Salpêtres avaient ré- pondu exactement aux conditions requises, comme en faisait foi le procès-verbal officiel.
S*» Que les expériences de purification et de stabi- lisation ne pouvaient être entreprises à Paris, parce que le Laboratoire Central des Poudres et Salpêtres ne possédait aucun des appareils nécessaires.
Qu'il soit bien entendu que l'éminent chercheur
qu'est M. de X n'est nullement en cause dans
cette affaire. L'essentiel de notre renseignement con- siste en ceci : qu'une Société allemande prend part indirectement — par ses trois membres les plus im- portants — aux adjudications du ministère de la Guerre pour la fourniture du coton-poudre. C'est là le point capital, le seul qui nous intéresse, car il met en péril une fois de plus, les intérêts de la Défense Nationale.,;^
NOS COTONS-POUDRES ET l'aLLEMAGNE 111
HUILE DE GRAISSAGE ALLEMANDE ET AUTOMOBILES DE l'armée FRANÇAISE
Nous avons déjà eu roccasion de nous occuper incidemment, au cours de ces études, de la Société Stern-Sonneborn et du produit qu'elle fabrique sous le nom d'Huile Sternoline-Ossag.
Lucien Baumann est, nous l'avons vu, fort satis- fait des résultats obtenus dans ses Moulins de Corbeil par l'emploi de cette huile. Qu'il se fournisse chez ses compatriotes, c'est son intérêt. Mais où la chose devient inexplicable, c'est quand on voit notre minis- tère de la Guerre français s'adresser à une société allemande pour lui demander de lui fournir son huile de graissage pour ses automobiles !
Tel est pourtant le cas.
Notre confrère le Mois Automobile a signalé ce fait scandaleux. Il ne faudra donc pas trop s'étonner si, au moment de la mobilisation, un certain nombre de ces automobiles restent en panne, soit que l'huile de la société « française » Stern-Sonneborn vienne à manquer, la maison- mère de Hambourg (21-26, Werfstrasse) n'en envoyant plus à Pantin, soit que cette huile, comme par hasard, devienne d'une qua- lité détestable et, en l'occurrence, dangereuse. C'est à se demander si les services responsables du minis- tère de la Guerre n'ont pas perdu la tête. Il ne manque pas de maisons françaises qui fourniraient de l'huile de graissage. Cette préférence exclusive accordée à l'ennemi éventuel ne s'explique pas. ^ J'ai là, sur ma table, à la disposition des incré-
112 l'avant-guerre
dules le prospectus suivant imprimé en caractères rouges :
Ministère de la Guerre.
Après un concours sévère, tant technique que pra- tique, 32 concurrents ont été éliminés et l'Huile Ster- noline-Ossag a été seule retenue comme remplissant toutes les conditions requises; elle est donc adoptée exclusivement pour le service des automobiles de Var- m.ée française.
C'est formidable, n'est-ce pas?... surtout quand on sait que les administrateurs de la société ano- nyme « française » Stern-Sonneborn s'appellent Maurice Baer, Isidore Braun, Paul Berliner, Jo- seph Stern et J. SoNNEBORN ! Jugez un peu ce que ce serait si la société n'était pas « française ».
Les administrateurs de la Société Stern-Sonne- born sont domiciliés légalement en Allemagne, et ceci constitue un manquement à la loi qui veut que les administrateurs de sociétés fournissant l'Etat aient au moins leur domicile légal en France.
Stern et Sonneborn fournissent en particulier l'arsenal de Tulle. Ils fournissent aussi et exclu- sivement la Préfecture de la Seirie (usines des Eaux, etc.). Le 21 septembre 1912, la concession leur fut adjugée d'un premier lot de fourniture (huiles et graisses), atteignant le chiffre de 176.000 francs. Il serait intéressant, entre parenthèses, de connaître les noms des agents de cette firme allemande qui sont chargés de visiter les arsenaux se fournissant chez elle.
Enfin, on m'affirme que Stern et Sonneborn font des rabais énormes et complètement inexplicables.
NOS COTONS-POUDRES ET l'aLLEMAGNE 113
Le cas a déjà été signalé dans diverses branches d'industrie et notamment quant aux locomotives allemandes fournies à nos compagnies de chemins de fer... ce qui constitue aussi, de la part de ces compagnies, une grave imprudence. Comment, en temps de guerre, procéderait-on aux réparations qui exigent soit un personnel allemand, soit des pièces de rechange allemandes ?
Pendant ce temps, l'Etat allemand, comme le constate notre confrère Georges Prade, du Journal, décide que, vu l'importance nationale des services automobiles et de dirigeables et des moteurs à explo- sion, il fabriquera lui-même le carburant des mo- teurs de son armée :
Le gouvernement allemand vient de prendre une décision plus hardie : il vient de passer commande d'un matériel d'usine qui sera sa propriété et qui, ali- menté par le charbon fourni par le gouvernement lui- même, doit fournir un minimum de trois cent mille hectolitres de benzol par an.
Le carburant destiné à l'armée allemande sera désor- mais fabriqué en Allemagne, par l'État allemand.
Que va-t-on faire en France ?
En France, mon cher confrère? Oh! c'est bien simple : on va s'adresser à une société allemande et lui accorder le privilège exclusif de fourniture de carburant aux moteurs de l'armée française...
CHAPITRE IV
LES MESSAGERIES DÉPARTEMENTALES PAR AUTOMOBILES
Il est inutile d'insister longuement sur ce fait que les transports par automobiles — qu'il s'agisse de troupes, ou d'approvisionnements, ou de munitions, ou de combustible, ou de chevaux — joueront un rôle considérable dans la guerre future. Ces chariots que Napoléon réquisitionnait pour les derniers combats de la Campagne de France seront remplacés par des camions couverts à traction automobile. Il serait donc prudent, dès maintenant, de n'accorder de con- cessions de ce genre qu'à des messageries absolu- ment françaises, administrées par des Français au- thentiques, je veux dire qui ne soient ni Allemands, naturalisés ou non, ni Juifs d'origine allemande, ni Juifs tout court, ni métèques. L'autorisation serait encore aggravée dans le cas où elle s'accompagnerait d'une subvention du ministère de la guerre fran- çais octroyée sans de sérieuses garanties de nationa- lité et même, en ce cas, de patriotisme.
Or, je vous présente la Société des Messageries
MESSAGERIES DEPARTEMENTALES PAR AUTOMOBILES 115
départementales 2Mr automobiles, telle que nous la peint la Cote Des fossés — organe financier des plus connus — dans son numéro du 16 février 1912. Je vous dirai tout de suite que le conseil d'administra- tion de cette société se compose de MM. Blumenthal [président, domicilié à Paris), Zouckermann (admi- nistrateur-délégué, à Coulommiers), Bauml et R. Gabriel. Voici maintenant quel est l'objectif de cette société que je mets ici en cause comme faisant appel au crédit public français :
La Société des Messageries Départementales par yla^omo6ï7es, dont les actions figurent dans nos tableaux de Bourse du marché en Banque, au comptant, a été constituée le 28 janvier 1908.
Elle a pour objet toutes opérations de transports par automobiles en commun, en France et à l'étranger^ tous camionnages automobiles, l'obtention, l'acquisition et l'exploitation de toutes concessions et de contrats de transports en commun par voitures automobiles, l'étu- de, la création et l'organisation de toutes entreprises de transports en automobiles ; enfin l'acquisition ou la location de tous meubles servant à l'exploitation de cette industrie.
Elle peut également prendre des participations dans toutes opérations industrielles ou commerciales pou- vant se rattacher en tout ou partie à V objet social, par voie de création de Sociétés nouvelles, d'apports, de souscription ou achats de titres ou droits sociaux^ fusion^ association, participation ou autrement.
Vous remarquerez ce « en France et à l'étranger » qui internationalise la société de MM. Blumenthal, Zouckermann et Bauml. Vous remarquerez égale- ment la latitude qu'elle se réserve, latitude de rat- tachement à l'industrie et au commerce. Tous les détails ici ont leur valeur.
116 l'avant-guerre
Au début, il lui a été accordé la concession d'un service de transports en commun par automobiles entre Coulommiers et Melun d'une part, et La Ferté-sous- Jouarre et Coulommiers d'autre part. La première comportait une longueur de 49 kilomètres; elle était dotée d'une subvention du département de 19.600 frs.; la seconde (La Ferté-sous-Jouarre-Coulommiers), d'une longueur de 23 kilomètres. A ces deux lignes furent ajoutées successivement celles de Coulommiers à Meaux, de 25 kilomètres et Melun à Nangis, de 33 kilo- mètres.
Jusqu'en mai 1909, seule la ligne principale Melun- Coulommiers fonctionna; à cette date, celle de Meaux- Coulommiers entra en activité, puis en août 1910 celle de Coulommiers à La Ferté-sous-Jouarre. La dernière n'a été concédée qu'en septembre 1911. La longueur totale du réseau atteint, dans ces conditions, 130 kilo- mètres.
La première subvention de 19.600 francs a été élevée progressivement : en avril 1911, elle a été portée à 59.200 francs par an; puis en septembre 1911, le Conseil général l'a augmentée de 44.800 francs, dont moitié à la charge de l'État, l'autre moitié au département; enfin, quelques communes desservies ont alloué 1.125 francs, de sorte qu'au total, les sommes accordées à la Compagnie s'élevaient à 105.125 francs par an.
J'ai à peine besoin de faire remarquer l'importance stratégique de la région choisie, pour ses premiers essais, par cette société de messageries automobiles.
Pour augmenter encore ses profits, la Compagnie va organiser en Seine-et-Marne, à partir du mois pro- chain, un service de gros camionnage pour relier direc- tement les centres principaux du département avec Paris. Cette nouvelle installation exigera 250.000 francs de dépenses de matériel et d'organisation qu'elle prélè- vera sur les sommes dont elle dispose.
Elle estime que cette nouvelle branche commerciale lui procurera une recette annuelle de 556.400 francs et n'exigera que 393.800 francs de dépenses, de telle
MESSAGERIES DÉPARTEMENTALES PAR AUTOMOBILES 117
sorte qu'il lui resterait 162.000 francs de bénéfices nets- En outre, comme ses disponibilités seront encore plus que suffisantes pour ses besoins, elle a sollicité dans un département de l'Ouest de la France, une conces- sion d'un réseau de 133 kilomètres pour le service de transports en commun par automobiles. Le conseil général de ce département aurait accordé en principe la, concession et voté une subvention de 106.400 francs par an à la charge de l'Etat et du Département, chacun par moitié. Cette nouvelle ligne n'exigerait que 250.000 francs de dépenses.
Lors de la session d'août 1911, messieurs Blumen- thal, Zouckermann et Bauml demandaient au dépar- tement et aux conseillers généraux de la Charente - Inférieure la concession de ciyiq lignes (rien que ça !) dont « Rochefort à Royan », « Rochefort à Port-des- Barques », « La Rochelle à Charron ». Un des con- seillers généraux ainsi sollicités, m'a fait remarquer, fort justement, que deux de ces lignes partent d'un port de guerre, Rochefort; que toutes deux abou- tissent au littoral, l'une à l'embouchure de la Gironde (fort de Royan), l'autre à la rade de Rochefort, à l'embouchure même de la Charente. La troisième ligne suit la côte, de La Rochelle à l'embouchure de la Sèvre-Niortaise, passant à côté du port de la Palliée, bassin en eau profonde, station de sous- marins, longeant la rade où mouille souvent l'escadre du Nord. On voit que MM. Blumenthal, Zoucker- mann et Bauml, dans leurs tracés de plans, ont une dilection spéciale pour la marine de guerre française. Cette remarque émut sans doute les conseillers géné- raux de la Charente-Inférieure, mais pas au point de leur faire accepter les conditions, par ailleurs fort onéreuses pour le département et l'Etat, de MM. Blu- menthal, Zouckermann et Bauml. Avec la ténacité
118 l'avant- GUERRE
juive, ces intrépides camionneurs renouvelèrent leur demande en avril 1912, sans plus de succès.
Il n'échappera à personne que l'extension d'un semblable service de transport acquiert au point de vue des opérations de guerre une réelle impor- tance.
Il semble donc, en conséquence, que les pouvoirs publics devraient tenir la main à ce que les per- sonnes à la tête de cette entreprise fussent de natio- nalité française. Mais pas plus ici que pour les cas précédents, le gouvernement républicain n'a pu ou voulu exiger cette garantie élémentaire.
Admettre des étrangers et spécialement des juifs allemands ou polonais à la direction d'une entreprise comme celle des Messageries Départementales, c'est leur donner toutes facilités pour étudier le pays, ses routes, ses ressources. On peut craindre qu'en temps de guerre ils ne laissent saboter leurs voi- tures, mettant ainsi le service des transports dans l'impossibilité de les utiliser pour les approvision- nements et la troupe.
Le ministère de la Guerre devrait, semble t-il, exiger d'autant plus de garanties spéciales de ces compagnies que, pour justifier son droit de réquisi- tion, il leur attribue une prime une fois versée de 5.600 francs par voiture automobile et de 6.800 francs par camion automobile.
Cette prime représente à peu près la moitié dn prix d'acquisition.
En vertu de larticle 103 de la loi de finances du 8 avril 1910, ces primes sont accordées sous diverses obligations. La première c'est que les véhicules pri- més doivent {article 4) :
MESSAGERIES DEPARTEMENTALES PAR AUTOMOBILES 119
Etre neufs, avoir été complètement construits en France avec des matières premières usinées entière- ment en territoire national, dans des établissements employant un personnel dirigeant et ouvrier dont les trois cinquièmes au moins soient d'origine française ou naturalisés français, et possédant une installation et un matériel suffisant pour assurer la continuation de la fabrication et de la fourniture des pièces de rechange en temps de guerre.
Le règlement a donc presque tout prévu, sauf la nationalité des administrateurs de sociétés fournis- sant ces véhicules^ les entretenant et réglant leurs parcours. Ces primes du ministère sont accordées en vue des services éventuels que doivent rendre en temps de manœuvres, que devraient rendre en temps de guerre les camions et transports automobiles. Il est clair que si l'administrateur de la société desdits camions est un Alfred Dreyfus, un UUmo, un Emile Weyl, un Jacques Grumbach, par exemple, un traître ou un déserteur juif, ou juif allemand ou juif polonais, il y a de grandes chances pour qu'en temps de guerre :
1* Certains camions automobiles, primés par le ministère de la Guerre français, ne fonctionnent plus et qu^un immeyise truquage de fausses bandes et de moteurs fourbus soit découvert tout à coup;
2° Les camions automobiles, par hasard en bon état^ servent au transport des approvisionnements et des soldats allemands.
En d'autres termes, ce qu'il y a de plus important dans ces entreprises, au point de vue des primes comme au point de vue national, cest la personna- lité et la natior\alité de ceux qui les dirigent.
Les noms de ceux-ci auraient dû mettre les pou-
120 l'avant- GUERRE
voirs publics en méfiance. Leur consonance est si peu française que l'on est tout naturellement porté à poser les questions suivantes :
1° MM. Blumenthal, Zouckermann et Bauml sont- ils Français, je veux dire nés en France de parents français?
2° MM. Blumenthal, Zouckebmann et Bauml ne
SONT-ILS PAS d'origine ALLEMANDE, OU JUIVE ALLEMANDE ?
3** MM. Blumenthal, Zouckermann et Bauml ont-ils
FAIT LEUR SERVICE MILITAIRE EN FrANGE OU EN ALLE- MAGNE, ET DANS QUELS CORPS?
Au cours de notre campagne dans l'Action Fran- çaise, nous ne nous sommes pas fait faute de répéter inlassablement ces questions précises. Elles n'ont encore reçu aucune réponse au moment où nous mettons sous presse.
Nous avons tenu toutefois à nous documenter complètement, tout au moins sur la personnalité d'un des administrateurs-délégués des Messageries Départementales et voici les renseignements que nous avons recueillis.
Ce M. Zouckermann serait un juif de Varsovie. Ce qui vérifie une fois de plus ce fait curieux qu'on ne peut pénétrer dans une affaire louche, sans y rencontrer un juif ou une collection de juifs !
Or, Zouckermann, que ses employés appelaient Zouc, a toujours eu du goût pour les aiïaires. Mais les affaires qu'il a entreprises n'ont jamais été d'une longue durée ni d'une extrême clarté.
Il a été imprimeur. Pas bien longtemps. Puis bijou- tier, faubourg du Temple. Un incendie dont les jour- naux ont parlé, à l'époque, détruisit son magasin et le força à transporter son commerce à Coulommiers.
MESSAGERIES DÉPARTEMENTALES PAR AUTOMOBILES 12i
D'ailleurs, Zouckermann a abandonné assez promp- tement la bijouterie pour lancer son idée de Message- ries automobiles.
Ce lancement nécessitait de l'argent et des appuis de toutes sortes.
Zouckermann chercha à se procurer l'un et les au- tres. Rochette, le fameux Rochette, se chargea de l'émission de ses actions, en reconnaissance de quoi le frère dudit Rochette fut pris par la société naissante, comme directeur. Lorsqu'il voulut obtenir l'autorisation du conseil général de la Charente-Inférieure pour le réseau qu'il projetait d'établir dans ce département, Zouckermann, en vue de s'assurer au moins un avis favorable, accepta comme employé M. X., frère d'un chef de division à la préfecture de la Charente-Infé- rieure. Probablement parce que sa requête demeura sans succès, Zouckermann congédia brusquement i M. X... qui n'en pouvait mais.
Les projets de Zouckermann dépassaient, d'ailleurs, le cadre d'un département et se souciaient même assez peu des frontières, puisque, il n'y a pas très longtemps, il partait pour la Ville éternelle et causait longuement avec un autre juif — et lequel! — Nathan, maire de Rome, en vue d'établir dans cette ville un service de transports automobiles.
Ayant serré d'assez prés sa personnalité, voyons main- tenant aveo quelle désinvolture Zouckermann agit vis-à- vis des lois françaises, lesquelles montrent d'ailleurs à son endroit une indulgence qui resterait inexplicable si nous ignorions le 445. Cela nous conduira ensuite à parler de certaines manœuvres qui sont autrement graves.
Le 15 juin dernier, le bureau de l'enregistrement de Coulommiers écrivait à ZouL'kermann, pour lui récla- mer le paiement : l** des droits sur des obligations émises; 2** d'une amende â laquelle il avait été con- damné pour n'avoir pas déposé un extrait de la délibé- ration de son conseil d'administration, en date du
1. Action Française du 19 septembre 1912, Pierre Dumou- lin.
122 l'avant-guerre
11 novembre 1911, et qui fixait le dividende de la société pour l'exercice de 1910. Cette amende a été réduite à vingt-cinq francs.
Zouckermann ne fut pas corrigé par cette punition et, au mois de juin dernier, une négligence du même ordre lui valait une amende nouvelle.
Mais voici qui est plus sérieux, parce qu'ici c'est l'intérêt direct des ouvriers français qui est ouvertement, cyniquement méprisé par ce juif.
On affirme qu'il n'existe pas, dans les ateliers des Messageries départementales de repos hebdomadaire, ni de cahiers de roulement. Et l'inspecteur du travail aurait fait récemment, à Zouckermann, des observations restées vaines.
Zouckermann emploie, pour ses transports, des camions primés par le ministère de la Guerre et qui devraient, nous l'avons vu, en cas de guerre, être réqui- sitionnés par l'autorité militaire
Or on nous assure enfin qu'au mois de Juin dernier, il aurait soustrait au recensement des véhicules auto- mobiles huit camions sur les vingt-deux qu'il possède à Coulommiers. Il aurait, à cette occasion, été frappé d'une amende qui lui aurait été enlevée par l'effet de quelque mystérieuse protection.
On dit encore que ces voitures sont déjà en fort mau- vais état et qu'au moment de l'examen annuel de ces camions par l'autorité militaire, Zouckerjiiann use d'un stratagème pour cacher cet état et emploie notamment des pneumatiques de pacotille, mais qui paraissent solides et neufs i.
On le voit, il n'y a rien dans tout ceci qui permette de justifier cette bienveillance toute particulière des pouvoirs publics dont bénéficie, une fois de plus, une
1. Extrait d'un article paru dans un numéro de VAction Française du 19 septembre 1912, sous la signature de notre collaborateur Pierre Dumoulin, et qui n'amena aucune pro- testation ai rectification de la part des intéressc.s.
MESSAGERIES DEPARTEMENTALES PAR AUTOMOBILES 123
société étrangère, la société des Messageries Dépar- tementales.
Et l'on est en droit de demander avec une nouvelle insistance quelles influences sont intervenues en faveur de cette compagnie, à l'encontre des intérêts de la Défense Nationale?
TROISIÈME PARTIE
LA NORMANDIE ENVAHIE
CHAPITRE I
GENERALITES
La formidable expansion industrielle qu'a prise l'Allemagne depuis sa victoire de 1870, Fa mise dans la nécessité absolue de se procurer les matières pre- mières indispensables à la vie industrielle : le char- bon, le fer.
Pour ce qui est du charbon, la Westphalie lui en fournit en quantité plus que suffisante ; mais le fer va lui manquer. Le maximun de son exploitation sera atteint dans dix ans, et dans quarante ans toutes ses ressources en fer seront épuisées. Il faut donc qu'elle en trouve à tout prix. Or par suite du procédé Thomas, qui a permis l'exploitation des gisements phosphoreux, sans valeur jusque-là, la France est en train de devenir la première puissance métallurgique du monde.
L'importance de la question n'échappe à personne et elle est un peu partout à l'ordre du jour. La Gazette des Tribunaux elle-même s'en occupe. On lisait, en effet, dans son numéro du 26 octobre der- nier, à propos du cinquième congrès de la Propriété minière, récemment tenu à Liège :
128 l'avant-guerre
M. Pawloski a présenté un rapport sur la situation générale des ressources en minerai de fer. Pendant longtemps, l'Espagne, avec la région de Bilbao, a été le principal producteur. Mais les gisements s'épuisent, et d'après les derniers rapports du gouvernement espagnol, ils auront disparu dans trois ou quatre ans. L'Allemagne et quelques autres pays ont recours à la Suède, mais l'exploitation d'État y réduit l'extraction, de façon à réserver les gisements. Cette exploitation sera donc toujours limitée. Restent l'Allemagne, le Luxembourg, l'Alsace-Lorraine et la France. Le fer Luxembourgeois durera cent ans, si l'on n'exagère })as Pextraction. 11 en sera de même des gisements d'Alsace-Lorraine. C'est la France qui contient le grand centre sidérifère à sa région frontière, au prolonge- ment du morceau que les Allemands ont eu soin d'an- nexer en 1870, croyant absorber ainsi toutes nos mines de fer. On ne se figurait pas, alor.=;, que le bassin de Briey pût s'étendre à l'ouest. On le reconnut en 1880. Aujourd'hui, il y a dans le bassin do Briey soixante-dix concessions, dont vingt-cinq en exploi- tation. La production s'accroît sans cesse. Elle a atteint quatorze millions détonnes en IDIL Même avec toutes les augmentations prévues, il y a là du minerai de fer pour plus d'un siècle. Les Allemands y développent celles des concessions qui leur appartiennent ou dans lesquelles ils ont des participations.
Il y a trois ans et demi, le gouvernement français chargeait le conseil des mines d'élucider la question consistant à savoir s'il y a du fer en Normandie. Déjà dix-sept concessions avaient été octroyées et l'on crai- gnait la mainmise allemande. Le conseil des mines déclara qu'il n'y avait pas de fer.
Or, c'est le contraire qui était exact, conformément à l'opinion déjà exprimée par Elie de Beaumont. La Normandie est un immense champ de fei% dix fois plus riche que celui de Briey. Aujourd'hui., ce bassin est la propriété d'Allemands. Une première bande con- tient quatre mines, dont trois appartiennent à la Gutehoffnungshutte et la quatrième à des Français qui ont un contrat de dix-neuf ans avec des Aile-
GÉNÉRALITÉS 129
mands. Une deuxième bande contient cinq concessions, appartenant aux firmes allemandes Thyssen, Gute- hoffnungshutte et Phœnix. Une troisième bande con- tient une concession appartenant à des Allemands. Enfin, une quatrième bande contient une concession appartenant à un Hollandais.
Dans la zone sud de la Normandie, les sociétés fran- çaises sont enfin intervenues, grâce à l'active propa- gande de M. Métayer, professeur à l'Ecole centrale, et sur dix-huit concessions deux appartienent à des so- ciétés françaises, les autres à des Allemands.
On n'a pas fait la même erreur en Anjou, où d'im- portants gisements de fer se sont révélés. La grande métallurgie française y a fait un effort extraordinaire et sollicite de toutes parts des concessions.
La France est donc un vaste champ de fer, minerai qu'elle est appelée à fournir au monde entier. Dans les Pyrénées, dont les gisements, riches en qualité comme en quantité, s'étendent de la. Garonne à Port-Vendres, plus de cent millions de francs ont été dépensés en recherches par des demandeurs en concession. Actuel- lement, 360 postulants attendent qu'il soit statué sur leurs demandes. Le gouvernement prétend que, pour statuer, il lui faut attendre le vote delà nouvelle loi sur les mines.
Le dénombrement Je ces 360 postulants serait intéressant à connaître. Il doit y avoir parmi eux un certain nombre de prête-nom de Thyssen. Par ail- leurs, une récente communication à l'Académie des Sciences montre une fois de plus l'importance des gisements de Normandie. Cette note a pour objet : « La structure du bassin d'Urville {Calvados) et ses conséquences au point de vue de Vexploitabilité du minerai de fer. » Cette structure, telle qu'elle vient d'être dévoilée, assure à l'industrie une réserve de minerai de beaucoup supérieure au tonnage prévu.
Cette situation prépondérante ne va pas sans sus-
5
J30 l'avant-guerre
citer Tenvie de notre voisine de l'Est et allumer ses convoitises. Elle cherche à les satisfaire en se pro- curant chez nous ce qui lui fait défaut chez elle. Pour arriver à ses fins, tous les moyens lui seront bons : la corruption, l'intimidation, la violence même. Elle les emploiera avec succès, car elle ne trouvera pas en face d'elle, en France, un gouvernement national capable de s'opposer à la mainmise de notre ennemi sur les richesses de notre sous-sol.
Toute la question est de savoir si la France conti- nuera à se suicider en alimentant en minerai de fer le dieu Arminius et les usines Krupp, si elle conti- nuera à abandonner à son ennemi (' ventuel des en- claves en plein territoire français.
Si nous avions un gouvernement soucieux de l'in- térêt national, il aurait depuis longtemps pris ses précautions, soit en modifiant les tarifs de douane, soit en réservant à ses nationaux seuls les conces- sions de mines. Mais la France, étant en république, est privée de cet organe indispensable de résistance, de continuité et de responsabilité politique que pos- sède l'Allemagne monarchique. Celle-ci, depuis la guerre, et notamment depuis l'Affaire Dreyfus, use et abuse de la situation. Les divers cabinets qui se sont succédé dans cet intervalle ont continuellement et invariablement cédé aux exigences progressives de l'Allemagne, soit par cupidité, soit par peur. De concession en concession, nous en sommes arrivés à ce point que nous ne pouvons plus résister aux dites exigences sans courir les risques d'une guerre. Il semble à l'heure actuelle complètement impossible, non seulement d'interdire, mais même de limiter l'exploitation par notre encombrante voisine des mines de fer de Normandie. Elle en tire, en effet, le
GÉNÉRALITÉS 131
fer qui lui est indispensable à son industrie. Or, l'Al- lemagne est, nous l'avons dit, une puissance essen- tiellement industrielle et une telle interdiction ris- querait de la plonger avec son armée formidable et sa population de 66.000.000 d'habitants dans la misère. vSoyons bien assurés qu'elle ne se résoudrait pas à mourir de consomption, quand^elle sent, à portée de sa main, de quoi continuer une vie intense.
Est-ce à In peur d'un conflit ou à un mobile moins désintéressé qu'il faut attribuer la clause dite « Au- gagneur » du projet du ministre des Travaux Publics de 1911, clause grâce à laquelle, en Normandie comme en Lorraine et partout ailleurs, notre sous- sol minier courra le risque d'être entièrement livré à l'Allemagne?
Avant d'étudier ce fameux projet Augagneur, chef- d'œuvre du genre, il faut savoir comment s'obtient, le plus souvent, une concession, en République, avec la loi de 1810.
C'est bien simple. Un individu se présente chez un propriétaire et lui demande d'effectuer des fouilles sur son domaine, en vue de découvrir des minerais, généralement des minerais de fer. Si le propriétaire veut éconduire le visiteur, celui-ci lui explique que son intérêt serait, au contraire, de signer un arran- gement, afin de participer aux bénéfices éventuels de l'exploitation. Il insiste. Il fait luire des chiffres. Le propriétaire est ébranlé, puis finalement se laisse convaincre et finit par signer chez le notaire une convention en bonne et due forme. L'individu opère les fouilles, demande la concession, l'obtient et l'ex- ploite. Quand le propriétaire s'adresse alors à lui, afin de réclamer la part convenue, l'autre lui rit au nez et lui exhibe l'article suivant de la loi de 1810 :
132 l'avant-guerre
« Lorsque VEtat accorde une concession, cette conces- sion se trouvey par le fait même, libérée de toutes charges et de tous engagements anténeurs. » Le tour est joué.
Cela se passe ainsi dix fois sur douze. On m'af- firme qu'en ce moment même, dans beaucoup de sites normands et bretons, notamment dans l'arron- dissement d'Argentan (Orne) et de Segré (Maine-et- Loire), des centaines d'engagements semblables se- raient signés par des propriétaires trop confiants.
D'après le projet Augagneur, l'Etat rompant avec tous les principes de droit civil, et ceux de la loi de 1810 sur les mines, se déclarerait carrément pro- priétaire du sous-sol. Il n'y aurait plus aucun privi- lège ni pour l'inventeur ni pour ceux qui ont fait des recherches. Par conséquent, l'Etat serait maître d'ac- corder une concession à qui lui plairait et sans que les étrangers en soient exclus. Vous voyez d'ici